Dimanche 27 juillet 2008
à Paris
8h04. Je croyais trouver les jambes fines de Laura en ouvrant les yeux, mais au lieu de ça, ce sont les mollets poilus de Simon qui font couler le café. Lilian sort de la salle de bain une serviette autour de la taille, une autre autour du coup. Je tâte, il n'est plus dans le lit. Je me lève donc dans un sursaut. Je vais à mon tour me laver. Quand je reviens Lilian et Simon sont en train de déjeuner. Je me joins à eux rejoignant en même temps la conversation. Ils parlent de Julian. On apprend que Simon et lui étaient devenus très proches ces derniers temps, et du jour au lendemain il n'a plus eu de nouvelles, c'était il y presque un mois maintenant. Je demande où est Laura. Elle travaille un dimanche sur deux. Mais quand elle travaille le dimanche elle ne travaille pas ni le samedi ni le lundi, donc on pourra la voir un peu plus demain. Qu'est ce qu'on veut faire aujourd'hui ? Je n'ai pas vraiment le temps d'y réfléchir que Lilian répond que nous ne voulons pas perdre un instant pour trouver Julian.
On arrive tous les trois, Simon entre nous deux, au Kremlin-Bicêtre. Il n'en manque qu'un quatrième pour faire les Dalton. Plus grand de préférence, je n'ai pas envie de faire Averell. C'est pourtant incrédule que j'observe depuis l'extérieur la façade noircie d'un appartement. On imagine bien comment les flammes ont léché jusqu'à l'étage supérieur, et les appartements voisins. Aussi on n'a pas besoin de beaucoup de temps pour reconnaître l'appartement où vivait Julian. Il faudrait qu'on monte voir, mais on reste tous les trois postés en bas. Interdits. Machinalement mon briquet s'est mis à tourner entre mes doigts. Assises devant l'entrée, sur leur banc, trois vielles femmes discutent. On comprend en s'approchant qu'elles parlent de l'évènement. Ce doit être leur sujet de conversation favori depuis un mois. La porte du hall est fermée.
« Excusez-nous, on souhaiterait entrer s'il vous plait. » Lilian s'est approché des vielles dames sans que je m'en rende compte. L'une d'elle, celle qui semble être la chef, s'est approchée de la porte et sans un mot nous a ouvert. On la remercie en entrant. Mais en passant j'ai la désagréable impression d'être cet enfant qui ne s'est pas lavé les mains avant d'aller manger. Son regard est dirigé vers mes doigts, mes ongles. Je ne peux pas dire qu'ils soient propres, mais ils ne sont pas sales non plus. C'est désagréable. Je les range dans mes poches, et mon briquet avec. Nous montons les escaliers jusqu'à l'étage observé de l'extérieur. À la place de la porte il y a un trou béant, une bouche criante que l'on a tenté de faire taire à coups de rubalise. On se contorsionne pour rentrer sans défaire ce filet de plastique censé empêcher toute intrusion. De toute façon vu l'état de l'appartement, il n'y a rien à voler, et les voleurs qui s'y risqueraient s'en retourneraient rapidement tant l'odeur de suie est âcre, forte et désagréable. Les murs sont noirs, les sols sont noirs, les meubles sont en cendre, les plastiques ont fondu, les plantes ont brûlé. Tout est mort. Mais Julian, où est-il ? Devant ce spectacle mon briquet s'est remis à tourner dans mes doigts sortis de mes poches.
On redescend comme on est monté, un peu plus triste. La vision macabre de l'appartement ne nous a pas réjoui. Avant de partir Lilian s'adresse aux trois vielles dames. La même qui nous a ouvert la porte tout à l'heure nous répond. Les gens qui habitaient les cinq appartements qui ont brûlé ont tous eu la possibilité d'être relogés dans un foyer tout proche d'ici. Pendant qu'elle parle ses yeux sont dirigés vers mes mains qui replongent gênées dans la chaleur de mes poches. Elles ne connaissent pas l'adresse de tête mais si on revient demain elles sauront nous dire exactement.
On s'éloigne. Elles nous regardent partir. Que fait-on ? On le cherche ce foyer ou on attend demain qu'elles nous donnent l'adresse ? C'est Lilian qui décide, c'est son frère. Nous, nous mettons en chasse, courant après ce foyer sans nom ni place, dans une banlieue parisienne fugitive. Au bout de trois heures à marcher sans savoir où, nous rentrons. La faim nous a pris dès que nous avons songé au retour. Jusque là nous en faisions abstraction, mais elle devient insupportable. Heureusement, Simon se débrouille plus que bien en cuisine rapide, même s'il préfère cuisiner de vrais plats. Mais nos ventres grognent.
Laura rentre vers 20h30. Je la sers contre moi. Qu'aurais-je fait si c'était elle qui avait disparu sans laisser de trace ? À bien y réfléchir ça lui arrivait régulièrement auparavant. J'étais fou de ne pas m'inquiéter.