Fragment #68 – Cendre #6 – Mamie Météo

J'ai sur mon bras gauche un plateau frais, dans ma main droite un diabolo de passage, et dans les yeux le regard du sixième client de la journée qui trouve plus convivial de me sortir un éloge de la climatisation au lieu d’un si simple et très appréciable bonjour. A cet instant précis je ne sais plus comment sourire, je ne sais plus quoi répondre. A Dijon, l’été, il fait chaud. C’est ainsi depuis toujours ou presque et pourtant tout le monde s’en étonne et épilogue sans aucune modération sur ce sujet vide. Et ça tourne en rond, ça tourne pour la climatisation des mauvaises publicités qui passent en boucle au Dionysos et probablement partout ailleurs. Les orages de la semaine dernière étaient terrifiants. Oui, merci petite mamie. Tu me sauves la vie. Et les prochains vont bientôt arriver. Fantastique. Merci pour cet éclair de lucidité. Il ne faudra pas que tu oublies de rentrer tes plantes vertes. C’est vrai ça, Mamie Météo, sinon le monde pourrait s’effondrer... Non non il faut vraiment se prendre au sérieux. Si les orages trouvent sur leur passage les plantes vertes de Mamie Météo ils redoubleront de haine et ne cesseront plus jamais de pleuvoir à coups de rondins. Mais ça aussi tout le monde en parle déjà. La célèbre apocalypse que l’univers entier redoute a même déjà choisi Dijon pour épicentre. Oui oui. Juste devant le Dionysos. Mamie Météo serait formelle, c’est certain. Michelle, sais-tu combien tu me manques...

« Attention !.. »
Je jongle une seconde, coup de maître, de génie, de foudre de Zeus et hop. Personne n’a rien vu, personne n’a rien entendu. Je suis environ accroupi, approximativement par terre, le plateau entre quelques mains dont celles d’un jeune inconnu. Mais je n’ai absolument rien renversé. Pourtant ça aurait dû arriver, je n’ai encore rien renversé depuis que je travaille à nouveau au Dionysos. Je relève les yeux de ce miracle de la survie pour remercier Superman, ou un devin qui savait qu’un orage éclaterait sous mon plateau et n’attendait que cela.
« Je reviens prendre votre commande dans une minute. »
Il sourit librement mais au-delà d’un peu de stress et d’émotions fortes la situation m’amuse aussi.

Louis m’accueille au comptoir avec un large sourire.
« Ca va ?
- Oui oui.
- Bien joué moussaillon !!
- Pourquoi ‘‘bien joué’’ ?
- C’est la première fois que tu sauves un plateau promis à la chute. Pour le plancher c’est bien que tu en aies choisi un gros bien plein.
- Mais je le tenais bien, je vois pas de quelle chute tu parles...
- Ah ok, ok... Et la descente aux enfers c’était pour le style ?
- Bah ouais, tu sais bien. Comme je ne ferai plus jamais tomber aucun plateau je peux me faire plaisir...
- Jamais ?? Ah j’aimerais bien te croire moussaillon mais faudrait pas exagérer ! Une bonne étoile veille sur toi depuis quelques jours c’est déjà pas mal tu crois pas ?.. »

Etoile. Ca recommence. Je me retourne vers le devin qui savait qu’un orage éclaterait sous mon plateau et n’attendait que cela pour se prendre pour Superman. Je reconnais sans le moindre détour de magie ou d’hésitation les lignes du visage et des cheveux de l’étoile filante. Je ne t’ai pas oublié... Michelle si j’avais du poison sur moi, quoi qu’il commande je lui aurais volontiers servi un apocalyptique orage d'été.