Fragment # 154 – Lexomil et barbecue

Le soleil lentement m’assomme de ses caresses. L’herbe du parc Darcy est encore verte, il faut dire qu’il n’a pas fait très beau ce mois-ci. Portée par mes doigts, ma clope va et vient entre mes lèvres.
Mon portable vibre. Putain, mais les gens n’en ont pas marre de m’appeler ?! Lulla.
« Ouais ?
- Chérie c’est moi, c’est juste pour te rappeler que tu viens avec moi chez Chris ce soir. »
Non mais je rêve.
« Hum.
- Il fait un barbecue, j’ai promis que tu viendrais. Bon, je passe te chercher à huit heures ? Parfait, à tout à l’heure ! »
Dites-moi que je suis en plein cauchemar. « Chérie, on est invitées chez Connard-de-mes-deux ce soir, et on s’occupe du vin. » Pour la peine je me lève, bien décidée à rentrer me défoncer la gueule avant huit heures. Mais putain Lulla, qu’est-ce qu’il t’arrive ? Elle n’était pas comme ça avant, elle n’a pas PU être comme ça.
La porte à peine ouverte, l’odeur me percute les narines. L’odeur de chez moi. Je regarde par la fenêtre la vue merdique, et mon cœur se serre à l’idée qu’un jour, je partirai. Je m’assieds sur le lit, et je sais ce que je dois faire.
Messages – SMS – Créer. « Carlotta, jcrois ktu me mank. Tu fais koi csoir ? Dis moi ri1, stp, tu me sauverai d1 BBQ pourri. Besitos » Envoyer. Charlotte.

Elle n’a pas répondu. Elle n’a pas répondu et du coup, je me retrouve coincée ici avec les amis de ma chère-et-tendre. Soit dit en passant, je n’ai jamais rencontré autant de débiles en une seule fois, cette soirée s’annonce mémorable. J’ai de la chance, il me restait du Lexomil. C’est peut-être pour ça que j’arrive à ne pas péter la gueule à Clara, ou Cola, ou Lorca, whatever, quand elle me demande pour la troisième fois quand j’ai su que j’étais « devenue lesbienne ».
« Je ne suis pas lesbienne.
- Oui, bien sûr, mais tu préfères les filles ?
- Non.
- Mais tu sors avec une fille ?
- Et ?
- Y a un truc qui cloche chez toi, Sylvia. »
Puis elle éclate de rire, me tapote le dos comme pour me signifier que c’était une blague, et retourne à son verre de rosé-pamplemousse. (Soit dit en passant, en temps normal je l’aurais tuée ne serait-ce que parce qu’elle boit du rosé-pamplemousse.)
« Alors, lance Christophe-l’hôte-merveilleux-de-cette-soirée-fantastique, vous emménagez quand toutes les deux ? » C’est le moment où je m’étouffe avec un morceau de salade. (oui, de la salade à un barbecue, ça vous épate, mais figurez-vous que je perdrais mon job si je mangeais des chipo.) Lulla devient écarlate et murmure « chut, tais-toi, je n’ai pas dit ça », alors j’éclate de rire, parce que putain, heureusement que je suis sous anxiolytiques, sinon, je crois que je serais déjà partie en couille depuis un certain temps. Je ne peux plus m’arrêter de rire, et ils me dévisagent, et Lulla est rouge pivoine, j’ai mal aux abdos, il faut que je me calme.
« Euh, ça va, Sylvia ? » lance une petite blonde que je n’avais même pas remarquée. Je reprends mon souffle et arrive à articuler :
« Oui oui, c’est les nerfs… Le Lexomil, j’en ai pris deux cachets et demi, je savais que ce serait trop, mais putain vous êtes tellement insupportables, heureusement que j’en ai pris autant, maintenant si vous voulez bien m’excuser, je m’en vais, parce que vous me faites trop rire. »
Je me lève, et je sens leurs regards estomaqués quand je ramasse mon sac puis franchis la porte.