Fragment #3 – Les yeux rougis

Florian vient juste de rentrer. Il a les cheveux mouillés et il sent le chlore. C'est pas vraiment le moment d'aller barboter dans l'eau, je trouve. Robin est parti il y a une heure et j'ai les larmes aux yeux. Je me suis préparé des pâtes, mais comme j'ai pleuré, elles sont restées sur le feu et sont devenues molles. Je les mange avec dégoût, en silence, et Florian entre dans l'appartement et ne dit rien. Si il me demande si je vais bien, je sens que je vais lui exploser à la figure, lui dire qu'il est vraiment trop con d'avoir parlé de ça à papa, vraiment trop con de pas avoir pensé que Julian pouvait finir dans un asile. Mon frère dans un asile. Les larmes reviennent me brûler les yeux.
Je savais bien que Julian allait mal depuis un bout de temps. Je savais bien que quelque chose clochait dans sa tête. Ca a commencé quand il s'est mis à parler tout seul, tout le temps. Il s'en rendait pas compte, mais ses lèvres remuaient sans cesse. Je pensais pas qu'on en arriverait là. Pas comme ça, si brutalement. Mais quand même, les sédatifs, les liens, l'internement forcé...
Bon, c'est vrai qu'il devenait violent, agressif, je ne le reconnaissais même pas. Mais quand même. On aurait pu faire quelque chose pour le sortir de là. On aurait dû faire quelque chose. Et papa qui n'y va pas de main morte, et qui lance son diagnostic comme si il avait à faire à un étranger. Je n'oublierai jamais le regard que Julian lui a lancé. Même si, à ce moment là, je voyais bien que c'était pas Julian. C'était quelqu'un d'autre, à l'intérieur. J'ai dû mal à comprendre comment une chose pareille peut arriver.
Florian s'installe en face de moi.
« Elles sont dégueu, tes pâtes. »
J'ai envie de les lui balancer au visage.