Fragment #5 – Votre frère souffre de schizophrénie paranoïde

« Votre frère souffre d'un trouble complexe, sans doute de nature schizophrénique paranoïde.
- En clair ? demande Florian.
- En clair, j'ai réussi à communiquer avec son « alter ego ». Il se trouve que votre frère est victime d'un mal apparemment familial, puisqu'en faisant enquête, il aurait découvert que votre grand-mère maternelle l'aurait également contracté. »
Florian et moi échangeons un regard inquiet. Le jeune psy, M. Boyer, devant nous, est très mignon, mais j'ai l'impression de rêver. Ca ne peut pas être vrai...
« Vous voulez dire que Julian est schizophrène ?...
- Son esprit est observateur et mimétique. Chez un sujet non malade, on retrouverait une aptitude à l'adaptation et à l'imitation décuplée. Votre frère, en revanche, DEVIENT littéralement les autres. Principalement ceux qui le fascinent. Il a commencé par scinder son esprit en deux, qu'il a dissocié sous les appellations de « Julian-Feu » et de « Julian-Eau ». La référence aux éléments lui permettait sans doute d'accentuer l'opposition totale entre ces deux personnalités, le « Julian-Feu » étant destiné à combattre le « Julian-Eau », le Julian originel, et à la contrer incessamment, comme une antithèse. »
Florian, à côté de moi, prend sa tête entre ses mains.
« Je poursuis, continue M. Boyer. Cette deuxième personnalité est inspirée d'un personnage qui a partagé la vie de Julian et qui l'a fasciné. Il s'agit d'une de ses anciennes amies, une certaine Maya Sélim. Peut-être que vous la connaissez. »
Je fais signe que non avec la tête, encore abasourdi.
« Peu importe. Votre frère ne s'est malheureusement pas contenté de copier l'identité de Maya et de devenir, lorsqu'elle prend le contrôle sur lui, un être corrompu par une débauche totale -sexe, alcool, drogue, désinhibition exacerbée. Il aurait également copié, alors qu'il était encore enfant, l'identité d'un homme rencontré lors d'une escale en Espagne. Un certain Joan. 
- On était en vacances avec les parents, coupe Florian en regardant le sol. Julian avait sept ou huit ans. Je jouais avec lui près d'une rivière et il est tombé dans l'eau. Un type est venu et a plongé pour le sauver de la noyade. Il a dit à Julian qu'il était un ange venu du ciel et qu'il s'appelait juste Joan, et moi aussi j'y ai cru pendant des années. En fait, c'était juste un type qui voulait pas qu'on le remercie pendant des heures pour ce qu'il avait fait.
- J'imagine que vous comprenez la gravité de la situation, reprend M. Boyer. Si Julian a pu copier une identité à l'âge de sept ans et la laisser en latence à l'intérieur de lui jusqu'à récemment, il se peut qu'il y aie des dizaines, voire des centaines d'autres personnalités en attente, qui n'attendent que le bon moment pour ressurgir. Toutes les personnes qui ont un jour captivé votre frère sont potentiellement présentes en lui. Ce qui me rassure, c'est le besoin qu'a Julian de se créer une mythologie. Il dissociait ses trois personnalités sous la forme d'un triangle Moi-Ombre-Reflet. Il a besoin d'une structure pour édifier sa déstructuration.
- C'est rassurant, ça ?
- Disons que ça l'empêchera sans doute de faire jaillir une foule d'identités hors de son inconscient au hasard.
- Qu'est-ce qu'on peut faire ? je demande.
- Apparemment, la personnalité Joan, ou « Reflet », s'est désagrégée d'elle-même lorsqu'il s'est retrouvé face à l'explication. Comme si elle ne demandait qu'à comprendre d'où elle venait -ceci étant probablement dû à la nature précoce et immature de sa création. La personnalité Maya, ou « Ombre », est en revanche plus récente et infiniment plus dangereuse, car elle cherche à désagréger l'identité de votre frère pour prendre le contrôle le plus total sur lui. Nous allons lui donner des anti-psychotiques et le garder en observation le plus longtemps possible. J'imagine que vous comprenez à quel point la situation est grave et doit être prise au sérieux. »
Florian relève la tête et sa voix tremble un peu lorsqu'il demande :
« Et puisque c'est de famille, ça peut nous arriver aussi ? »