Fragment #70 – Cendre #8 – Ce fou-ci portera une pancarte

Tu rencontreras d'autres patients. Je crois que ça peut te faire beaucoup de bien. Je crois que ça peut te permettre de prendre un peu de recul par rapport au problème dans lequel tu t'enfermes. Quand tu verras les autres tu comprendras que tu n'es pas si malade et ça t'aidera sûrement à me parler un peu de tout ça. Mais oui. Pourquoi ne me dis-tu pas en face, avec ta voix, que tu crois de plus en plus que je suis fou et que ma place est avec les fous. Quoi qu'il en soit, désormais, ce fou-ci portera une pancarte.



Treize heure. Le Docteur Privat et son écriteau frontal viennent d'entrer. Comme tout visiteur il fait son petit tour, mais cette fois-ci pour une sorte de pseudo-état-des-lieux. Car aujourd'hui, je déménage. J'ai obéi, j'ai rassemblé mes affaires dans un sac et mis un peu d'ordre dans ma- mon ancienne chambre. Tout est clean, il n'y a plus aucune trace de mon passage ici. Le Docteur semble satisfait. Nous sortons.

L'hôpital, ses couloirs, ses murs ses portes, ses infirmes et ses infirmiers. Menant la marche, le Docteur m'explique qu'un patient a été transféré parce qu'il devenait dangereux pour son colocataire. Puis il tourne quelques pages de son bloc-notes pour retrouver le prénom de « Julian », avec qui je partagerai ma nouvelle chambre.
« Il est sous antipsychotiques, c'est-à-dire qu'il est plutôt calme. Tu ne devrais pas être trop dépaysagé. »
Je te crois. Je ne peux que te croire n'est-ce pas.

Nous passons une large double-porte qu'il a ouverte avec une carte magnétique. De ce côté du monde les murs sont plus vides, les portes plus fermées, les infirmiers plus vieux et les infirmes invisibles.

« Voilà, c'est là. »
Ce n'est pas très grand pour deux, même de l'extérieur. Le Docteur frappe doucement, trois fois, puis ouvre. Julian dort bien, ou fait bien semblant. Tout est déjà trop silencieux. Le Docteur me murmure que c'est le moment de poser des questions parce le travail l'attend, et comme je n'ai pas d’idée et encore moins envie d’en chercher, il me laisse ici, seul avec Julian et la consigne de ne pas le réveiller. C’est en la refermant qu’il dépose sur la porte une copie résonnante de son écriteau.



Quelque chose pique. Quelque chose pique au fond de mon coeur, en rythme, avec mes battements. Quelque chose comme les branches d’une petite étoile auxquelles je me heurterais à chaque systole. Je t’en donnerais volontiers des antipsychotiques.