Fragment #9 – Est-ce que j'ai vu venir les choses ?

Je pousse la porte du Dionysos, Robin derrière moi. Louis et Lullaby discutent derrière le comptoir avec la vieille Léonie, mais le reste du bar est désert. Complètement gelés, nous nous empressons de commander à Lullaby deux chocolats chauds.
« Y a pas grand monde aujourd’hui dis-donc.
- Eh non, soupire Louis, elle commence mal cette saison…
- Oh faut pas dire ça, vous avez trouvé deux nouveaux serveurs, c’est déjà bien non ?
- Oui, mais bon, il m’en faut un quatrième, encore. »
Louis lance un regard à Lullaby, mais elle fait mine de regarder ailleurs.
« Si on n’était pas en fac de médecine, moi je me serais bien proposé, dit Robin.
- Moi aussi, j’ajoute.
- C’est bien gentil les garçons, mais cette année, faut le réussir, ce concours.
- On va faire de notre mieux, Louis.
- J’espère bien. Et dès que vous avez besoin, le Dionysos vous fournira des chocolats chauds pour vous redonner des forces !
- J’ai connu un médecin dans ma jeunesse, nous interrompt Léonie.
- Ah oui ? je fais.
- Oui, il est mort, maintenant.
- Ah…
- Tenez, dit Lulla en déposant devant nous les tasses fumantes, sur lequelles nous plaçons aussitôt nos doigts transis.
- Au fait, comment va ton frère ? me demande Louis.
- Toujours pareil, ils le bourrent d’antipsychotiques. Ils espérent que ça désagrègera la deuxième personnalité.
- Et dire qu’on a rien vu venir… »
Moi si. Je ne le dis pas, je ne veux pas faire le malin, mais j’avais bien remarqué quelque chose. Julian qui se parlait à lui-même, de plus en plus souvent, ou juste ses lèvres qui remuaient sans émettre de son. Et puis l’affaire avec Justin, aussi, c’était bizarre. Ca ne lui ressemblait pas, de se battre avec des caïds pour les empêcher de tabasser un gamin. Sans parler aussi de son voyage en Italie avec Laetitia, puis à Londres. Julian, je ne l’ai pas connu aussi imprévisible. C’est quelqu’un de réfléchi, de calme, de posé. Il va retourner le pour et le contre mille fois avant d’agir. Il ne sait pas prendre une décision, et du coup, il ne fait rien. J’ai été bête de croire, à certains moments, qu’il avait juste un peu changé, qu’il devenait plus sûr de lui.
Dans quel état est-ce qu’on le récupèrera ?