Fragment #12 - 1980

Nous sommes en 1980. C'est l'hiver, et il fait un froid glacial. Méryl est partie et je dois me faire une raison, il faut que je reprenne pied, il faut que je continue ma vie. Maman a dit qu'elle voulait ouvrir un bar brasserie et me propose de l'aider à faire le service. Je sais pas. Elle veut me tirer de la déprime, j'en suis conscient. Elle veut me voir épanoui. Merde, j'ai vingt-trois ans et je suis au chômage, ma femme m'a quitté après deux ans de mariage et la venue de notre petite Maura. Quelle vie pourrie.

« Non Lulla, tu dis à la cliente qu'on peut pas régler en carte ici, c'est comme ça. Elle nous laisse sa carte d'identité et elle va retirer dans un distributeur, un point c'est tout, elle avait qu'à demander avant de consommer.
- Ok chef. »

Méryl a emmené Maura à Paris, chez son nouveau fiancé. Il est évident qu'elle le voyait déjà avant, bien avant notre rupture. J'ai rien vu venir. Aucun signe. Aucun geste. Méryl m'a échappé du jour au lendemain, elle a obtenu la garde de la petite. Ma soeur a jasé, comme d'habitude, mais Maman, elle, elle dit rien. Elle veut pas casser du sucre sur le dos de son ex-belle fille. Elle voudrait juste que je me reconstruise. « C'est la vie », qu'elle dit. Faut aller de l'avant. Je sais bien, Maman, mais c'est pas si facile que ça.

« Alors, tu en as pensé quoi de Grégoire samedi ?
- Très bien, réponds Lulla. Un peu stressé mais prometteur, je dirais.
- Bien, je suis content alors.
- Et James, il commence quand ?
- Dès jeudi.
- Ok. »

J'ai honte. J'ose pas imaginer la tête de Maman, si elle savait. Ca fait déjà un mois que je la vois, une fois par semaine. Elle attend près du Rempart de la Miséricorde, dans une tenue aguicheuse. Elle est très maquillée mais elle est jolie, et elle me fait un bon prix. C'est la seule autre femme que j'ai touché à part Méryl. Je sais que c'est sale. Et j'ai honte. Mais c'est trop dur, de rester seul.
Elle s'appelle Géraldine. Elle a à peine trente ans.