Fragment #3 - Dans l'attente d'un retour

Etalé sur le canapé, la télévision allumée, je commence à perdre patience. Bientôt dix heure. Elle aurait pu venir en avance, après deux semaines de vacances, deux semaines sans la voir. Je n’ai pas pu dormir cette nuit, je ne peux pas dormir de toute façon, il n’y a qu’en revenant du Dionysos que je ressens une certaine fatigue. Soudain un bruit. J’entends le grincement du porche qui s’ouvre et se referme. Clac. La porte fenêtre cède plus difficilement, je l’avais fermée à clé. Non, je crois que c’est bon, elle n’a pas oubliée ses clés. Je bondis, pousse les couvertures et les coussins, je ne peux plus l’attendre. Je cours, j’arrive dans le hall, en haut de l’escalier et je la vois enfin. Elle pose son grand cabas sur la commode à côté de la porte, lentement, elle connaît ce geste depuis toujours. Moi aussi.

« Bonjour Grégoire, tu aurais quand pu faire l’effort de t’habiller, ce n’est pas très poli d’être en pyjama devant une dame. Je parie que je t’ai manqué, bien sûr que je t’ai manqué, je ne te poserais pas la question. Mais je crois pouvoir me rattraper de mon absence, descends vite venir voir ce que je cache dans mon cabas. Ah ça tu ne vas pas être déçu. »

Son fort accent marocain me réchauffe l’esprit, ses mots, ses phrases, son petit rire. Je ne lui ai même pas dit bonjour.

« Comment vas-tu Senia ? J’espère que tu n’es pas trop triste de revenir, tu…
- Triste ? Mais de quoi ? De te revoir ? C’est plutôt ta mine qui m’inquiète ! Tiens, prend donc ces Briouates au miel, ma sœur les a préparés rien que pour toi, j’espère que le voyage ne les a pas trop abîmés. Allez prends en un, c’est la boîte bleue au fond du sac ! Ah vraiment, deux semaines sans moi et rien ne va plus ici ! Tu devrais ouvrir un peu les rideaux et éviter de tout laisser traîner, il y a des habits accrochés sur la rampe, c’est encore pire qu’avant mon départ. Mon petit Grégoire est donc incapable de vivre sans moi ?! »

Son rire de vieille femme résonne dans tout le hall, je déguste les délicieuses pâtisseries marocaines qu’elle me donne. Quel bonheur, elles sont succulentes. Senia, ma gentille Senia, tu as entièrement raison, je suis incapable de vivre sans toi, tu fais partie de ma vie, tu me connais depuis que je suis venu au monde, tu m’as gardé, tu m’as consolé, tu as toujours vécu dans cette maison, tu as pris soin de moi, de nous tous, jusqu’au bout, et maintenant tu continues, pour moi. C’est toi que j’aime.

« Pendant que je vais remettre un peu d’ordre dans ce bazar, tu vas me raconter ce que tu as fait pendant mon absence. J’ai eu des remords de partir tu sais, surtout à un tel moment, je me suis inquiétée tous les jours de toi tu sais !
- Je te crois
- J’espère bien ! Commence par ton travail, ça se passe bien là bas ? Qu’est ce qu’ils te font faire ? Oh ne fait pas l’étonné, je sais tout, même à plusieurs centaines de kilomètres je sais absolument tout de toi et que tu travailles comme serveur, mais les détails me manquent. Vas-y dis moi.
- Eh bien je travaille au Dionysos, le lundi et le samedi. Ils sont plutôt gentils, mais je n’arrive pas à m’y sentir à l’aise, c’est stupide. Je les aime bien, Lulla est gentille, Louis pas mauvais, l’ambiance me plaît, mais là-bas aussi flotte un air de problème, le lieu est chargé de souvenirs, et les autres semblent être aussi obsédés par leurs histoires. Et puis quelques accidents…
- Mon petit, les verres cassés et les clients qui râlent n’ont aucune importance, tu as pris la bonne décision non ? Et si tu t’y sens bien pourquoi te tourmentes-tu ? »

Elle me prend dans ses bras et chantonne quelques mots d’arabe. Ne t’arrête pas, serre-moi fort. Ne pars plus jamais.