Fragment #11 – La vidéaste et le photographe

Nous nous promenons dans les rues inclinées de Montmartre, sous un ciel gris et humide. Lui, son appareil photo greffé sur l'œil. Moi, la caméra scotchée à la main. Il ne parle pas, et je ne sais pas quoi dire. C'est très bien comme ça aussi. Filmer les passants, filmer des démarches, des visages. Filmer sans trop savoir quoi. Garder une trace de ce mercredi 1er octobre 2008. Du réel. Je suis bazinienne, moi. Simon, il préfère l'artifice, le complexité scénaristique. Il a du mal à comprendre ce qui m'intéresse dans un film : saisir un instant donné et précis, une émotion sincère à travers un regard hésitant, un geste maladroit. Merde, suffit que je pense à ce con pour qu'il m'appelle. Je sors le portable de ma poche et le regarde vibrer entre mes doigts. Cinq fois. Puis il s'arrête. Je reçois un message vocal. Si je l'écoute maintenant, il va tenter de rappeler pour voir si ça sonne et, du coup, comprendre que j'ai fait exprès de ne pas décrocher. Simon est calculateur et je déteste me faire avoir. De toute façon, je me doute de ce que contient le message. Des « je m'inquiète pour toi », des « où es-tu ma chérie », des « je me fais un sang d'encre ». Eh bien tant pis, ça ne te fait pas de mal. Moi je suis bien, ici, au calme avec Damien. Lui ne la ramène pas à tout bout de champ. Lui ne cherche pas à m'impressionner. Lui ne m'oblige pas à fréquenter ses amis débiles.
J'aime regarder la précision de ces gestes, la façon dont il manipule l'appareil comme si cet outil était un prolongement de son œil. Les clichés du tournage de « Oh le joli mensonge » qu'il m'a envoyé sont excellents, ils me plaisent même davantage que le court-métrage en lui-même. Tiens, d'ailleurs, je pourrais lui demander pourquoi il n'est pas venu à la projection. Mais ça me ferait penser à Patrick, et je n'en ai vraiment pas très envie.
Nous arrivons près du Sacré Cœur. Paris s'offre à nous dans toute sa splendeur.