Dimanche 19 octobre 2008
Entre Paris et Villeneuve-Saint-Georges
18h17. Ici on se déplace en train. En TER plus précisément. Je n'en ai que pour 20 minutes depuis la gare de Lyon mais il m'en faudrait quasiment cinq fois plus s'il fallait que je fasse le trajet en voiture. La circulation parisienne est insupportable. J'ai quitté une Laura au sourire forcé. Ma Laura. Le cœur de notre fratrie. Ma seule famille ici. Ici c'est la région Parisienne où j'évolue depuis près d'un mois. Je m'apprête à entamer ma quatrième semaine de formation au fort de Villeneuve-Saint-Georges. J'ai déjà passé trois semaines sans penser. Oh bien sûr on réfléchit ardemment. Mais on nous apprend à réfléchir avec des automatismes qu'il faut enregistrer, intégrer, et savoir ressortir à tous moment. Même pendant les heures de repas. Nous sommes formatés ; comme s'ils formaient des robots pour sauver. Nous seront une armée de robots sauveurs. Une armée. Oui le terme est juste. À Paris les pompiers sont militaires, et nos instructeurs insistent sur ce point pour être sûr qu'on ne l'oublie pas. Combien de nuits se sont transformer en matins avec pour seul éclairage de nos foulées une lune ronde dans le ciel rouge parisien. Ce ciel qui m'émeut toujours. Les nuits n'avaient pas cette couleur cramoisie à Dijon. Dijon ma mère.
Mesdames, Messieurs, Gare de Villeneuve-Saint-Georges. Deux minutes d'arrêt.Voilà une voix qui change bien de celle aigrelette qui opère dans les métros. Me voici donc arrivé dans la proche banlieue Sud-Est de Paris. Dans quelques centaines de mètres et autant de pas je retrouverai le fort d'instruction, ma chambrée, mon lit.
J'ai passé sans trop de souci mais plein de stress les épreuves d'admission à la formation. Mais c'est là que le plus dur à commencé. Ils n'ont gardé que les quatre-vingt meilleurs. Les autres n'auront plus qu'à se présenter une deuxième et dernière fois dans quatre mois, si c'est vraiment ce métier qu'ils veulent faire. Mais ils auront intérêt à se préparer davantage ; sinon ils devront revoir leur ambition à la baisse. Ici c'est l'élite. On nous le répète assez. Ici c'est l'armée. On nous dirait presque que nous sommes l'élite de l'armée. Les lits sont au carré, la place d'arme est carrée, la cour d'honneur est carrée, les instructeurs sont carrés, mais il faut que dans notre tête ça tourne rond, comme ils disent. Pas facile de se lever à trois heures du matin pour un footing de quinze kilomètres -parce que c'est le début de la formation- , de retourner se coucher pour qu'à sept heures on soit habillé, le lit fait avec les draps pliés sur le matelas. Petit déjeuner jusqu'à 8h, cours jusqu'à midi. Pause entre 13h et 14h. Cours en début d'après-midi et sport de 17h à 19h. Puis le soir on a étude pour réviser, entre nous mais surveillés par un jeune sergent, les cours et les techniques apprises jusqu'alors. C'est un rythme de fou. On dors dès qu'on se couche, ce qui fait à peu près quarte à cinq heures par nuit. Ce qui est suffisant pour un vacancier qui est exceptionnellement sorti la veille et qui projette de faire la sieste. Mais tenir ce rythme à longueur de semaines c'est usant. Et ils ne cessent de répéter qu'en caserne ce sera plus dur encore. Qu'il y aura davantage de stress, -ce que je doute être possible-, et que ce sera de vrais vies entre nos mains. Même si là on s'entraîne sur nos camarades, et ce n'est pas rien -malgré ce qu'ils en dise- de les faire tomber du brancard.
Ma mère me manque. Melissa me manque. Je leur ai toutes deux envoyé une longue lettre hier matin. J'attends une réponse avec impatience. Même si je sais que je n'aurais pas mon courrier avant vendredi soir. Quand on franchit les portes du fort on se coupe du monde. On n'a même pas le droit de garder nos téléphones allumés – même en silencieux-.
Ne pas penser par soi-même, être soumis à un commandement militaire. Tout ce que j'ai toujours critiqué. Aujourd'hui je sus là, et j'en suis fier. Serais-je maso ?
Je ne saurais pas avant vendredi 21h. Car d'ici là ces pensées doivent rester à l'extérieur.
Je franchit le portail après avoir présenté ma carte d'identité et mon pass à la loge. Je commence à me concentrer sur la semaine qui m'attend.
Semaine carrée.