Fragment #27 - Dernier jour à Dakar

Ce matin, quand je me suis levé, Charly avait disparu.
Disparu. Et la plupart des objets de la boutique avec. Je me retrouve tout seul à Dakar, avec deux billets d'avion pour rentrer demain en France, et je me dis que si j'avais ce vieux con entre les mains, je lui collerais mon poing entre les deux yeux, histoire de me défouler. On a pas idée de faire cavaler les gens comme ça à l'autre bout du globe pour les laisser tomber ensuite. Charly a vraiment un grain.
Je range quelques affaires, essaye de mettre les choses en ordre. En fin d'après-midi, je vois Charlie et son ami entrer dans la boutique d'antiquités. Charlie Collomb, la fille du diplomate.
« Salut, miss Collomb. Qu'est-ce que vous faites là tous les deux ?
- Bonjour... Appelez-moi Charlie, s'il vous plaît. Nous venons vous dire au revoir, nous prenons l'avion demain, pour rentrer à Glasgow. »
Elle jette un coup d'oeil autour, un peu surprise par la disparition de presque tous les objets.
« Votre père n'est pas là ? elle demande.
- Désolé, il est parti ce matin.
- Ah bon ? Il vous a laissé ici tout seul pour tout déménager ? »
Eh oui, il est comme ça mon père. Faut s'y faire.
« Tu le connais pas, Charlie. Ce type, c'est pas un adepte des relations humaines, si tu vois ce que je veux dire. »
Elle sourit un peu, avant de continuer :
« Et vous, vous allez vous installer ici ? 
- Oh que non, je rentre en France demain. Marre de l'Afrique, fait trop chaud pour moi ici.
- Vous allez revoir la belle Dijonnaise alors ? Elle me demande avec un clin d'oeil amical.
- La belle Dijonnaise ? Tu parles de ma ville ? 
- Oui, c'est toujours comme ça que mon père parle de Dijon... »
Elle se mord un peu la lèvre. Comme c'est mignon. C'est vrai que je l'aime, ma Dijon, et c'est vrai qu'à mes yeux, c'est la plus belle de toutes.
« Vous, euh... vous êtes antiquaire, vous aussi ?
- Non, non non, je suis propriétaire d'un bar. Oh, je suis bête, j'allais oublier de vous en parler... Si vous passez par Dijon, faudra pas hésiter à venir. Ca s'appelle le Dionysos, rue Amiral Roussin. Un chouette bar, vraiment.
- Je n'en doute pas. Le Dionysos... Ce doit être la fête tous les soirs, avec un nom pareil !
- Ca reste décent, miss Collomb, la fille d'un diplomate s'y sentirait à l'aise comme n'importe qui !
- Dans ce cas, je mettrai ma plus belle robe lorsque je viendrai. »
Elle rit un peu, et je me surprends à penser que oui, ça me ferait vraiment plaisir, de la voir débarquer au Dion, cette petite. J'en aurais complètement oublié la présence de son ami, qui nous écoute parler sans rien dire. Nous convenons de nous retrouver demain à l'aéroport avant d'embarquer pour la France, et ils quittent la boutique.

Quelques heures plus tard, je reçois la visite de Sankoun Mancabou, le fameux « Monsieur Abou » qui a envoyé mon père derrière les barreaux pour le vol présumé d'un masque africain. Masque qu'il tient entre ses mains lorsqu'il entre dans la boutique, suivi de près par deux hommes dont les yeux sont cachés par des lunettes de soleil. Sankoun est un grand type noir, aux dents de cheval, et il ressemble à un crâne.
« Monsieur Charly a quitté la ville, n'est-ce pas ? il demande. »
Sans me laisser le temps de répondre, il continue :
« Et je suppose que vous n'avez aucune idée de l'endroit où il peut se trouver maintenant, n'est-ce pas ? »
Je préfère pas répondre. Puisqu'il sait tout mieux que tout le monde, ça sert à rien.
« Je vous laisse cela, monsieur Louis. »
Délicatement, il pose le masque africain sur une table avant de s'éloigner.
« Cela ne nous est plus d'aucune utilité, désormais. »