Fragment #459 – Les forts et les faibles

Lumières. Sons. Corps en mouvements. Déhanchements. Nous dansons en rythme au milieu de la foule en furie, saouls, éthérés, heureux. J’attendais ce vent de liberté depuis si longtemps. Regardez mon corps qui palpite sous vos yeux, ce cœur vibrant de lumière et d’or, la beauté coulée à l’état pur dans le marbre de mon torse, de mes épaules et de mes bras, la stature de mon cou et le port de mon visage antique. Je suis le dieu que vous rêvez d’avoir sous vos draps. Je suis le dieu qui vous utilise pour rehausser son orgueil, vos regards sont autant de pilotis qui m’élèvent au-dessus de la fange de votre médiocrité. Vous n’êtes rien pour moi, et pourtant si vous saviez combien vous m’êtes utiles. Grâce à vous je suis supérieur.
Je me suis racheté un téléphone. Pierre a renfloué les caisses, merci « papa ». Tant d’argent dépensé pour mon simple plaisir, c’est un vrai bonheur. Je compose le numéro du garçon du train, le garçon aux yeux d’érèbe. Il m’a tendu un papier, avec quelques chiffres griffonés dessus, lorsque nous sommes descendus sur le quai de la gare de Lyon. Tu vois, Malvo, il a compris à qui il avait à faire. Il a fait le premier pas, c’est donc un faible. Les forts ne s’abaissent pas à faire le premier pas.
Les forts dont tu parles pleurent d’être seuls, au final.
Je compose le numéro et m’éloigne des basses, une main plaquée sur mon autre oreille.
« Allô ?
- Ouais, c’est le mec que tu as vu dans le train.
- Ouais ? Je t’entends mal…
- Je suis à une soirée, c’est pour ça.
- Ok, et heu ça va ?
- J’ai nulle part où dormir ce soir, va falloir que tu m’héberges.
- Haha, t’as de quoi payer ? »

Je le rejoins à l’adresse indiquée. Le rappelle, lui dis que je suis arrivé. Il me donne le code de l’immeuble et l’étage. Je souris. Un frisson s’empare de moi. Un frisson de plaisir. Je vais le baiser et abuser de son hospitalité. Ce n’est qu’un pauvre mortel.
« Salut, il lance, après avoir ouvert la porte.
- Salut, je réponds en entrant.
- Tu veux boire un truc ?
- Tous les fluides de ton corps seront les bienvenus… je réponds, complètement ivre, en me jetant sur lui pour l’embrasser et lui mordre le cou. »
Il me repousse.
« Heu, j’ai pas envie de ça, en fait. »
Je le regarde, abasourdi. Un millier de ventricules battent dans mes tempes embrasées.
« Je t’ai pas fait venir pour un plan cul, tu vois. »
Non, je vois pas, mec. Je comprends pas qu’on puisse me repousser. Je comprends pas que tu puisses être assez con pour me repousser.
Il va falloir commencer à comprendre certaines choses, Maya.