Fragment #88 - 16H00. Au Sacré Coeur.

Je regarde l'heure à ma montre. Quinze heures cinquante-cinq. Laura ne devrait pas tarder. Je lui ai donné rendez vous par texto, ce matin. A seize heures, sur les marches du Sacré-Coeur. Je ne sais pas si le choix est approprié. Comme d'habitude, il y a une multitude de touristes. Mais la voilà.
« Salut ! »
Son sourire est magnifique. Ses joues sont roses. Le froid certainement. Je lui rends son salut.
« Je suis pas trop en retard, hein ?
- Non, je suis arrivé il y a cinq minutes. »
Quel piètre menteur. Ca fait bien trente minutes que je suis là.
« Bon, ça va alors. »
Je souris encore, partagé entre le plaisir que me procure cette rencontre et ma nervosité.
« Euh, il y a un endroit dans Montmartre où tu aimes aller ? 
- Pas spécialement, j'aime bien me balader dans les rues où il n'y a pas trop de monde. Et si on pouvait éviter la rue Francoeur, ça m'arrangerait, par contre. »
Je cherche rapidement dans ma mémoire, l'emplacement de cette rue, mais je ne trouve pas.
« Je ne connais pas très bien les rues du quartiers. Ca te dirait de me faire visiter ? Tu as l'air de mieux connaître.
- Non, je connais juste la rue Francoeur, en fait. On peut tout simplement errer et éviter la foule.
- Ca me va. »
Nous marchons l'un à côté de l'autre. Je la surplombe d'un bon vingt centimètres. Je me mets à marcher sur la route comme avec Sofia, tandis qu'elle reste sur le trottoir. Au bout de quelques minutes de marche silencieuse, à l'angle d'une rue, j'aperçois la pancarte avec le nom de cette rue. La rue Francoeur.
« Pourquoi tu veux éviter cette rue ? »
J'ai conscience d'être indiscret, mais je n'ai pas su me retenir.
« En fait, c'est là que se trouve la FEMIS, tu sais, l'école où j'ai été acceptée, et où je peux pas aller finalement.
- Tu fais quoi à la place ? Tu bosses dans le ciné ?
- Je cherche, je cherche. Et comme je trouve pas, je pense de plus en plus à bosser à McDo, histoire de pas me retrouver à la rue...
- A la rue ? Pourquoi ça ? Tu ne vivais pas avec quelqu'un ?
- Heu... Si. Et je vis toujours avec, en fait, mais... c'est compliqué. Disons que mes sentiments à son égard ne sont plus aussi évidents qu'ils ne l'étaient au début, si tu vois ce que je veux dire...
- Oui, j'imagine... »
En fait, je n'imagine pas du tout. Je n'ai réellement aimé que Sofia. Et jamais mes sentiments n'ont changé. Je l'ai toujours aimé. Encore aujourd'hui. Laura continue.
« Et puis je suis pas du genre à vivre comme ça, tu vois, la vie de couple, c'est pas fait pour moi. Je m'ennuie, j'ai envie de découvrir de nouvelles choses, de faire des expériences inédites chaque jour !
- Faire tous les jours ce que l'on a envie, sans faire de concessions. Sans devoir se préoccuper de l'autre. Etre indépendant.
- L'indépendance, voilà. C'est ça que j'aime, moi. 
- C'est vrai que c'est quelque chose. »
Je ne dois pas être très convainquant. L'indépendance, ok, mais je n'ai jamais rien eu contre la vie de couple. Sofia et moi étions très indépendant, mais c'était un vrai bonheur de partager ma vie avec elle, de vivre avec elle, dans mon appartement, chez nous...
« Et toi, tu es engagé avec quelqu'un ?
- C'est compliqué. Très compliqué.
- Ok. »
Quelques rues passent sous nos pieds avant que je ne reprenne la parole.
« Elle est partie il y a deux ans.
- Oh. Pourquoi ?
- J'aimerais bien le savoir aussi. »
Je sais bien Laura que tu ne dois pas être satisfaite par cette réponse. Mais c'est ainsi. Je ne sais vraiment pas pourquoi.
« Ah d'accord. Et tu l'aimes toujours ?
- Je n'ai encore rencontré personne qui ait su me la faire oublier. »