Fragment #90 - Crise économique

Dix heures. Je m'installe à un coin de la table de réunion. Ian est à ma gauche et Sean vient s'asseoir à côté de moi. Il y a deux autres personnes autour de la table. Je ne les connais pas et Sean me fait comprendre d'un haussement d'épaules que lui non plus ne les connaît pas. Je me tourne vers Ian qui trie des feuillets sortis d'une pochette en carton rouge.
« Ian, excusez-moi. Vous les connaissez ? »
Il ne répond pas. Il me fait juste signe de me taire et retourne au tri de ses papiers.
« Messieurs, dames. Pas la peine de vous lever. »
Il pourrait pas juste dire bonjour ce connard. Jean-Charles est rentré dans la pièce, sans aucun regard pour les personnes présentes. Il a jeté son ordinateur portable sur la table rectangulaire. Sean se retourne aussitôt vers moi, en pointant du doigt l'ordinateur. Il ouvre la bouche, mais je lui fais les gros yeux. Je sais Sean, c'est pas un Mac, je sais. Mais je crois qu'il est pas dans ce genre de délire, pas du genre à faire de l'humour sur la « guerre » entre Mac et PC. Sean hésite, puis comprend. Il me fait un clin d'oeil.
« Bon, à l'ordre du jour, le budget à partir de novembre. Vous n'êtes pas sans savoir que le monde est en crise. L'argent ne pousse pas dans les arbres, et on va devoir revoir certains de nos objectifs à la baisse. Tenez voilà de la lecture. »
Jean-Charles nous lance des documents que les deux inconnus lui ont tendu. Ian tourne les pages du document relié. Sean et moi avons un regard l'un pour l'autre. Qu'est-ce qu'il veut qu'on comprenne à ça ? Il y a des tableaux et des courbes partout, des rapports sur des départements du journal qui ne concernent aucun d'entre nous, ni Ian, ni Sean, ni moi.
« Jean-Charles peux-tu me dire où tu veux en venir avec toutes ces paperasses. Pourquoi nous convoquer tous les trois, si c'est pour nous faire lire des chiffres des autres départements. Je suis d'accord que l'on parle de notre groupe, mais là, c'est quoi le but ?
- Le but, Ian, je vais te le dire. Le voilà ! »
Il lui jette à la figure une nouvelle liasse de papiers apparue de la mallette d'un des deux inconnus.
« Plan de restructuration ? C'est quoi ça ? »
Ian regarde rapidement les papiers. Puis il nous regarde Sean et moi. Je ne comprends pas cette soudaine détresse dans son regard. Mais je crois que je vais pas tarder à savoir.
« Tu peux pas faire ça, Jean-Charles. Sean et Damien font de l'excellent boulot. Le site tourne bien. On a pas mal de visiteurs quotidiens, et il rapporte de l'argent grâce aux publicités qui sont sur le site.
- Je suis encore le patron ici, Ian. Faudrait que tu commences à l'imprimer depuis que tu es ici. Le site rapporte de l'argent, mais pas assez vu l'investissement. »
Je savais que Ian n'aimait pas beaucoup ce connard arrogant, mais alors là, je crois que s'il le pouvait, il l'aurait déjà tué. Ian posent ses mains à plat sur la table.
« Annonce leur toi-même, Jean-Charles. Je n'en prendrais la responsabilité. Plus maintenant.
- Et pourquoi ça ?
- Parce que je démissionne dans l'heure, Jean-Charles. »
Aucune réaction dans le camp de l'ennemi, mis à part quelques regards entendus entre les deux inconnus. Du côté des gentils, Ian range ses affaires, Sean et moi, paniquons. Sean prend la parole, la voix étrangement grave.
« Qu'est-ce que vous faites de nous ? 
- Et bien, Monsieur Kross, vous et votre ami, Monsieur Den, êtes licenciés. Cela prend effet immédiatement.
- On embarque le matériel avec nous. »
Jean-Charles regarde Ian. Terrifiant de voir autant de haine entre ces deux hommes.
« Je reprends ma part d'investissement dans le journal. Je retire mon capital. Je récupère le matériel des petits et le mien.
- Tu ne peux pas te retirer du journal comme ça. Ce n'est pas légal.
- Demande à tes deux larbins d'avocats. J'ai le droit. Ce journal m'appartient autant qu'à toi. Je suis juste un peu moins ambitieux et dirigé par le fric. »
Jean-Charles ne dit rien. Il hoche juste de la tête. Ian se lève et nous fait signe de le suivre. Sean me précède les poings serrés par la colère. Je le suis, dégoûté et vidé. En sortant, un des inconnus me regarde. Je le bloque un instant. Il me sourit. Un sourire moqueur.
« Bonne journée Monsieur Den. »
Je l'ai déjà vu quelque part ce gars là. Quasiment sûr.