Dimanche 2 novembre 2008
à Dijon
17h29. Je relève ma manche gauche : mon train part dans exactement cinq minutes. Je poinçonne mon billets en souriant à Lilian. Nous montons sur le quai. Le TGV en partance pour Paris-Gare de Lyon est stationné voie D.
Nous avons passé un très bon après-midi assis au Dionysos devant deux grands chocolats viennois à parler de nous, des autres et de l'actualité. Il me tend mon deuxième sac et je monte mes bagages dans le train. Je redescends pour lui dire au revoir.
Il ne sourit qu'à moitié en articulant ses mots :
« Ça m'a fait plaisir de passer du temps avec toi, en tout cas.
- Moi aussi, ça faisait longtemps.
- Tu sais quand tu reviens à Dijon ?
- Vendredi dans deux semaines normalement. Mais si tu veux monter à Paris un weekend, je suis sûr que Laura sera ravie de faire de la place pour toi aussi dans son appartement.
- Tu crois ? Ça me ferait bien plaisir, en plus !
-Bien sûr ! Et moi ça me changera les idées de voir Paris avec toi.
- Oui, comme cet été, en moins stressant. Et puis je pourrai voir Julian.
- Il est retourné à Paris ?
- Aussitôt sorti de l'hôpital, oui.
- C'est que ça doit aller mieux alors.
- C'est ce que les médecins disent, en tout cas.
- Tant mieux. Ça doit te soulager d'un poids quand même. » Réponds-je automatiquement sans savoir si sa réponse atteste d'un accord avec l'avis médical ou non.
« Tu sais Alex, je peux te le dire à toi vu que tu es mon meilleur ami, mais dès qu'un poids s'en va, un autre rapplique aussitôt.
- Tu veux parler de quelque chose en particulier ?
- Tu sais bien, mon homosexualité et mes parents, mon petit ami qui s'éloigne de moi, mes études. J'arrête pas de saouler Déborah avec ça en ce moment, mais c'est vrai que j'ai mis tous mes problèmes de côtés quand il a fallu retrouver Julian, et maintenant, j'ai l'impression que tout me retombe sur la tête en même temps, et que je serai pas capable de gérer. Tu vois ce que je veux dire ?
Les voyageurs pour Paris-Gare de Lyon sont priés de monter à bord. Le train va partir dans quelques instants. Attention à...- Je ... Ben...Il faut que j'y aille. A bientôt mon Lilian. »
Je le sers dans mes bras une fraction de seconde - bien trop courte pour profiter de cette chaleur humaine -, et monte dans le train. Je m'assois, et le regarde au dehors, tandis que s'éloigne la longue file de wagon.
Il a disparu. Le train file sur les rails, il s'est élancé et me dirige droit sur la capitale.
Il y a tant de choses dont j'aurais aimé lui parler. Lui dire que je me sens seul dans mon casernement. Bien sûr nous sommes douze par dortoirs et les ronflements sont là pour me rappeler constamment que je ne suis pas seul. Mais aussi que je ne suis pas chez moi. Je suis perdu et il y a tant de choses qui me dérange. Ne serait-ce que l'esprit militaire auquel j'ai du mal à m'habituer, les armes que je hais et que j'apprends un peu plus chaque jour à utiliser. Sous prétexte que nous sommes militaires nous sommes censés maîtriser l'utilisation du FAMAS. Vous avez déjà vu des pompiers se promener avec un fusil vous ? En contrepartie je voyage en TGV à moindre frais, mais qu'est-ce donc à côté des nuits sans dormir, et de la fatigue qui s'accumule chaque jour un peu plus. Lilian le comprendrait immédiatement tout cela. Mais je n'ai pas pu lui dire. Je n'ai pas pu au Dion à cause des gens autour qui ne voient que le prestige du pompier de Paris et pas les cernes sous mes yeux. Pas non plus en remontant à la gare, car il y avait Melissa avec nous. Elle est fière de moi, ce serait déplacé de me plaindre devant elle que je laisse seule à Dijon. Et puis là, ces cinq dernières minutes, ces derniers instants en sa compagnie, j'aurais pu. Mais je ne voulais pas qu'il se fasse du souci, déjà qu'apparement ça ne va pas très fort pour lui non plus. Mon Lilian. Ça m'a fait du bien de te voir.