Fragment #2 - La guerre des gouttes

Il pleut.
Il pleut et je suis là, béate, à regarder les gouttes tomber. Les livres épars sur la table en merisier m’adressent un message silencieux, que j’ai décidé d’ignorer, trop concentrée à associer ces trombes d’eau et le crépitement de la toiture. « Travaille ! Travaille ! » murmurent-ils inlassablement.
J’ai souvent lu que les nuages crevaient le ciel, comme on dit d’une bouche de métro qu’elle dégueule une masse. Cette inéluctabilité scénique, au demeurant très poétique, ne prend son sens que si l’on voit l’objet : le ciel, ou la bouche. Pourtant, le drame qui se joue là-haut se métamorphose devant mes yeux en guerre éclatée, chaque soldat-goutte étant éclaté en mini-fragments sur la terrasse dallée.

Les livres m’appellent.
Aujourd’hui, j’avais décidé d’aller à Angoulême. Mais il pleut. Il pleut, et la pluie, d’habitude synonyme d’un branle-bas de combat vers un ailleurs informel, me fera aujourd’hui rester à l’abri. La saveur d’une douce quiétude, le confort d’un gros fauteuil et le temps qui s’égrène doucement sont préférables. La BU attendra.
Les gouttes s’écrasent sur la vitre, le vent a tourné.

De nouveau, des mots me sautent à la figure. Leur caractère agressif me dérange, ils sont beaucoup trop insistants.
Mon retour doit se préparer en douceur, dans une atmosphère propice. Cédant à une impulsion, je me lève, enfile le poncho et m’engouffre dehors. Je cours. Haletante, j’insère la clé dans la serrure de la grange et entre en milieu hostile. Je me glisse dans un recoin, attentive à ce que personne ne me voie, et me déplace à pas feutrés dans l’obscurité. Mes yeux observent de part et d’autre, sensible à tout ce qui pourrait me déranger. Mais qui pourrait troubler mon jeu ? Il n’y a personne ici, je suis seule. Mon butin dans les bras, je m’enfuis sans refermer, telle une voleuse, et affronte de nouveau la tempête. Je rigole intérieurement, tellement je suis ridicule à faire une opération commando de récupération de bûches. J’en savoure pourtant la teneur.

Le feu brûle enfin dans la cheminée. Enroulée dans une couverture, je me remets à réviser. Les livres ont encore gagné.