Fragment #26 - Vampire Emotionnel

J’ai un goût de sang dans la bouche, un goût amer qui perce de mes joues. Et ce petit bout de peau joue avec ma langue. Je n’arrive pas à m’en défaire, ni d’ailleurs à le défaire de la joue à laquelle il est encore attaché, ballottant au gré de mes mouvements de langue. J’ai ce goût de métal dans la bouche, ce goût qu’auparavant je haïssais mais que j’ai maintenant appris à aimer.
Nous sommes tous des vampires. Des vampires émotionnels du moins. Nous suçons l’autre jusqu’à le débarrasser totalement de sa moelle ; jusqu’à qu’il ne soit plus rien, qu’il devienne simplement nous. Nous voulons que l’autre se fonde en nous. Mais par là même, nous faisons tout pour le détacher de nous.
J’ai ce goût de sang dans la bouche pendant que j’attends. Dix heures, il avait dit. Devant la fnac. J’espère que je le reconnaîtrai. Je ne suis pas sûr de pouvoir le remarquer du premier coup d’œil. Une photo n’est qu’une capture d’un moment. La seconde d’après, on n’est déjà plus le même homme. Mais voilà qu’il apparaît. Et j’ai toujours ce goût métallique au plus profond de moi.
Je ne suis déjà plus moi.
Salut. On va chez toi ? J’ai besoin de te sentir en moi, je chuchote.
Je crois pouvoir l’exciter ainsi. Une main furtive au bon endroit et j’ai confirmation.
Oui, allons-y !
Il me promène jusqu’à un appartement derrière la place Grangier. Il me laisse passer devant. Je le pense galant, mais en montant, je me rends soudain compte qu’il voulait simplement regarder le mouvement de mes hanches. Je me donne en spectacle.
Nous entrons. Il referme la porte derrière lui. Et me plaque contre elle. Je sens sa langue fourrager dans ma bouche. Je capture ses émotions.
Vampire émotionnel.
Il sent mon goût de sang. Et il aime ça. Il se fait plus violent, plus rapide. Je ne sais trop ce qui se passe. Je me retrouve à genoux. Puis à quatre pattes sur le plancher. Violence et Sauvagerie. Je suis ailleurs. Je ne réponds pas. Je partage ses émotions. Je vogue de son envie primaire au raffinement écoeurant de ce qu’il veut me faire subir. Rituel qu’il ne compte outrager. Je suis sa Figure de Sacrifice. Il est en transe autour de l’Idole.
Sans vraiment m’en apercevoir je suis nu et pénétré de tout son être.
Je ne fais qu’un avec Lui. Je joue toujours avec ma petite peau, qui ne veut se détacher de l’intérieur de ma joue. Et je saigne. Mon être tout entier saigne. Je suis tombé jusqu’à la plus basse dépravation. Ce goût de métal, c’est celui de l’épée qui me transperce les entrailles. Hara-kiri sanguinolent de mon être transfiguré. Je suis le transformé.
Et soudain la petite peau se détache de l’intérieur de ma joue. Là-dedans, la cicatrisation se fait tellement rapidement qu’on ne la sent pas évoluer.
Il s’écroule sur moi après un dernier va-et-vient.
Et déjà je suis guéri.