Fragment #8 – Mylène

Je resserre mon écharpe autour de mon cou en descendant les escaliers de la fac. Cette journée est enfin finie. Il est à peine cinq heures mais il fait déjà nuit. J’aime l’hiver, cette ambiance ralentie, le froid qui trouve ma peau malgré mon énorme manteau en laine. J’aime même le bus bondé de gens qui toussent, frissonnent, font la gueule. J’ai envie de leur sourire, de leur parler, de réchauffer un peu leur âme engourdie.
Ce que j’aime surtout, c’est ce moment où la clef tourne dans la serrure, où la porte s’ouvre, où la chaleur de mon chez-moi vient prendre la place du vent entre mes doigts. J’allume la bouilloire, enlève mes chaussures. Puis je me lave les mains avant de verser l’eau frémissante sur le sachet de thé noir qui patientait dans sa tasse. Je réchauffe un scone aux raisins, passe l’aspirateur. Puis m’installe devant mes cours, mon goûter à portée de main.
Coup d’œil au réveil, il est temps de me préparer pour retrouver les filles. Démaquillage pour effacer la journée, remaquillage pour bien commencer la nuit. Une jupe pour l’occasion, et les chaussures que Sylvia m’a achetées l’autre jour. Elles sont simplement sublimes, en satin noir avec un nœud énorme à l’arrière.
J’arrive pile à l’heure, suivie de peu par Julie.
« Chérie, elles sont MA-GNI-FIQUES !! Waow !! C’est le vilain dragon qui te les a offert ? » dit-elle en m’embrassant chaleureusement.
« Arrête… C’est de la femme de ma vie que tu parles, là…
- Mouais… On en reparlera quand t’auras trouvé la prochaine…
- Hhhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!!!!!! Salut mes beautés !!! »
Clara nous saute dessus.
« J’adooooooore tes chaussures, elles viennent d’où ? Mylène vient ?
- Elle m’a appelé, confirme Julie, elle va être un peu en retard, par contre j’ai pas de nouvelles de Rose.
- J’suis là ! » Julie sursaute en sentant les mains froides de Rose sur ses yeux.
« Lulla, mon amour, où as-tu déniché de pareilles beautés ?
- C’est un cadeau de la Harpie.
- Ju !
- Bah quoi, c’est le cas, non ?
- Ouais mais bon…
- Hey les filles, nous interrompt une voix grave et suave, on arrête les gamineries et on se décide. On se fait un chinois ? »
Mylène est le genre de fille qui ne sourit jamais. Ce n’est pas qu’elle n’a pas d’humour, loin de là, mais elle semble être au-dessus. Elle a une classe phénoménale, des jambes interminables, des cheveux vaporeux et lumineux. Jamais cigarette n’a été aussi sexy que celle qu’elle fume en marchant lentement vers nous.
« J’adore ta jupe, Lulla. »
Je sens mes joues s’empourprer. Je ne sais plus trop qui l’a introduite dans notre groupe, mais ce n’est sûrement pas moi, je me consume à chaque mot qu’elle prononce.
« Allez, on se bouge, j’ai froid ! » lance Clara, qui se met en marche.
« Eh, oh, vous me suivez ou quoi ? »
Je prends Julie par le bras, et essaie d’oublier le regard de Mylène que je sens posé sur moi.