Fragment #473 - Douce passion et travail reposant

Île Saint-Louis. Je me dirige vers la boutique Les Quatre-Vingt Huit, les mains enfoncées dans les poches de mon caban. Mes yeux sont rivés vers le sol, mais c'est le visage de Lola que je vois, imprimé sur ma rétine. Il fait beau, aujourd'hui, et je pense à la femme que j'aime, à notre amour si pur, si réciproque. C'est presque impensable, cette force du destin qui nous a placé sur le chemin l'un de l'autre, dans notre ville natale. Est-ce que j'aurais pu envisager mon avenir, mon avenir tout entier, avec une autre qu'elle ? Peut-être que oui, mais c'est Lola qui a croisé ma route, et pas une autre. C'est Lola qui m'aime tant, et elle seule. C'est elle qui sait animer en moi, toujours, ce même sentiment de bien-être serein, de douce passion. Je ne dois pas la perdre à nouveau. Plus jamais.
La clé tourne dans la serrure et fait crisser un bruit métallique. La porte s'ouvre. J'entre dans la boutique d'antiquités, intimidé. Maya m'en a laissé la garde, et je suis le dragon de remplacement pour veiller sur ce trésor, cet amas d'objets anciens, ce fascinant bric-à-brac.
Je m'installe derrière le large comptoir de bois, pose mon caban pour me mettre à l'aise, ainsi que mon sac à bandoulière. Puis je me promène un peu, seul, en silence, dans le bazar de bibelots et de reliques, n'osant rien toucher. Dehors, le soleil brille d'un éclat pâle par intermittence. Je souris. On dirait qu'il clignote.
Mon cahier, mon crayon. Je commence à rédiger des notes, en attendant l'arrivée des premiers clients de la journée. Parfois des touristes curieux s'arrêtent devant la vitrine, sans oser entrer.
Je pose par écrit mes premières idées pour mon roman. Ce sera donc l'histoire de Charly, l'Erèbe, un homme capable de devenir invisible, un voleur. Il commence par voler les quatre-vingt huit reliques sacrées, clés d'une énigme secrète, traqué par les membres d'une organisation souterraine. Je ferai aussi intervenir Michelle, sa femme. Elle, je l'appellerai Gaïa, et elle pourra déplacer les choses avec son seul esprit. Peut-être que je pourrai consacrer le roman suivant à cet autre personnage ?
Une femme entre, et fait sonner la clochette de l'entrée en poussant la porte. Elle m'adresse un sourire, murmure un vague bonjour, puis déambule entre les objets divers. Après quelques minutes, elle me renvoie un second sourire, puis s'en va, sans avoir rien acheté.
Ce nouveau travail s'annonce reposant.