Aldébaran
| Sujet: Fragment #28 - Osmose 10.04.08 16:17 | |
| Lundi 7 août 2006 à Dijon Mon regard plonge dans le paysage mousseux. Vallées et collines blanches, surface vaporeuse et dansante, île perdue sur l’océan d’ivresse. Ile flottante et brumeuse. Plus on s’approche et plus on se demande vraiment ce que c’est, danse joyeuse d’un coton évaporé, ronde enfantine de nuages souriants ; ivresse déloyale, tu me trompes. Je regarde la mousse de ma bière et je ne suis plus tout à fait moi. Je suis en face de Jonathan, le blond bien foutu. J’ai bu. Un peu. Peut-être un peu trop d’ailleurs, mais je me sens bien avec lui. Il a commencé à me parler de lui, de ses attentes. De ces ex et de la vie fabuleuse d’un homo hors-milieu. Une vie triste et morne, égayée de-ci de-là par des rencontres, percées de soleil. « Allo ? - Allo, c’est Jed. - Qui ? - Ton plan cul d’hier soir. J’aimerais que tu oublies tout ça, tu sais. J’aimerais tout recommencer. Comme si nous n’avions pas couché ensemble. - … Ca te dirait de boire un coup avec moi ce soir. » Je suis sa percée de soleil du jour. Il me regarde. Ses yeux d’un bleu profond me transpercent. Il m’avoue avoir toujours eu peur des Iago. J’espère ne pas en être un. J’espère ne pas le devenir, à ses yeux du moins. Il a tout oublié de notre plan de la veille. Je me sens comme quelqu’un d’autre à ses yeux. J’avance un peu et mes yeux parcourent le tracé de sa peau. Du coin rieur de sa bouche vers la fossette droite que sa joue fait quand il sourit. Il sourit quand il me regarde… De la fossette à ses pattes blondes et un peu frisottées, vers son sourcil droit. Celui qu’il lève et abaisse, qui fait vivre son visage quand il rit à mes blagues. De son sourcil vers son cou, fin et droit, et sa carotide qui pulse sous les battements de son cœur. Ce cœur que j’aimerais à moi… « Excuse moi, je crois ne t’avoir jamais demandé ton nom… - Jonathan. C’est moi qui ne te l’ai jamais dit. » Tu plonges dans mes yeux. J’ai peur que tu n’en trouves plus que ce que tu es venu chercher, mon amour. Ma douleur d’avant, mon au plus bas, mon renouveau. Cherches-y mon nouveau moi, je t’en prie, le Jed amoureux, l’Othello transfiguré. Tu nages dans mon brun, dans ma vase marine, mais tu sais éviter les écueils, comme si tu savais nager en eaux troubles, comme si tu connaissais déjà ces récifs. Et tu en ressors. Tu prends une bouffée d’air, tu respires. Tu m’as trouvé. Tu m’as remonté à la surface. Moi j’ai replongé dans les méandres de ma bière, dans la mousse onctueuse et sensuelle qui m’appelle. Je la fais tourner un petit peu, et je la fais plonger dans mon gosier. Amertume ivresse que je ne sais comment prendre. J’avale gorgée par gorgée ma fin de soirée qui s’approche et l’inévitable conclusion. La fin d’une bière, disparition de la mousse. L’écroulement d’un monde, l’écoulement d’un cycle. « On se retrouve place Darcy alors ? A 22h30 ? - D’accord ! » Je me rapproche de Jonathan. Je caresse un instant ses cheveux qui sont tout un paysage de montagne ensoleillé. Ma bière repose sur la table. Évaporée jusqu’à la dernière goutte. Nos visages se cherchent un moment. Ma bouche trouve la sienne. Nous nous embrassons. J’aime l’amertume qui se retrouve dans cette bouche aux accents rosés. J’aime la chaleur pénétrante de ses lèvres. J’aime ma main passée dans ses cheveux. J’aime son corps qui cherche à se fondre dans le mien. J’aime notre unique pensée, notre osmose à cet instant précis : On ne gâche pas un premier soir. Othello n’était pas seul. Il avait un jumeau. | |
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