Fragment #29 - Madame la Lune

La soirée vient juste de se terminer. Je remonte le boulevard de la Miséricorde. J’ai encore son baiser sur ma bouche. L’amertume de ses lèvres, le poids brumeux de son corps contre le mien. Jonathan… La ruelle est sombre, je me dépêche. Je croise un homme avec son chien. Ne surtout pas le regarder dans les yeux. Ils prennent ça comme une provocation. De plus je suis vraiment habillé comme un pédé, ne surtout pas se faire remarquer. Jonathan, ta poitrine contre la mienne, ta respiration, ton cœur à l’unisson avec le mien. Et ce baiser. Ce seul baiser m’a porté au septième ciel. Ma bouche est encore toute cotonneuse de ta langue chaude et moite au plus profond de moi. Les lampadaires n’éclairent plus de la même façon. Toute la ruelle devient rue, avenue, boulevard, autoroute, voie expresse vers l’univers de mes rêves. Déjà je suis à Neverland. Je gambade un instant. M’arrête.
Miséricorde, tu n’es plus la même maintenant que j’aime. Tu es transcendée, volonté divine de mon bonheur futur. Toute-puissance anisée et ton goût sur mes lèvres. Ton odeur me suit toujours. Mes mains sentent toi. Ma bouche a ton goût. Tout mon corps est réceptacle, tabernacle de Jonathan. Je suis Jonathan. Au plus profond de moi. Miséricorde, notre père qui êtes aux cieux, tu as sanctifié notre nom. Je suis Jednathan. Je suis deux. Nous sommes un. Pour les siècles des siècles.
Bonjour madame la lune !
Aujourd’hui je suis heureux, madame la lune, et tu es ronde et pleine. Et tu me regardes, transpercée dans ton bas par des bras de nuages. Les nuages te prennent dans leur bras en fait. Comme j’ai été pris dans les bras de Jonathan. Les nuages t’ont embrassée et tu es eux maintenant. Tu es partie de ces nuages, tu es la lunuage. Et je crois que je ne suis plus très net. J’ai peut être un peu bu.
Miséricorde ! Je suis sauvé ! Bonjour madame la pleine lune. Discutons encore un peu ce soir. Je t’aime tu sais, madame la belle, madame la pleine, madame toute en rondeurs. Je t’aime madame que je vois toute les nuit et qui voit mes souffrances. Je t’aime comme j’aime Jonathan. Ou peut-être plus, je ne sais pas… Non, pareil. Je t’aime madame la lune, je t’aime Nathan, non Jonathan, enfin je sais plus. J’aime tout le monde aujourd’hui je crois. Je vous aime, murs de ma miséricorde, je t’aime Desdémone et mon Alex. Je t’aime petit bout de papier qui m’attend dans ma table de nuit et que je n’ouvrirai pas. Regarde moi madame la lune, chère à tous les lunatiques, regarde le fond de mes yeux bruns qui autrefois étaient vase, qui maintenant sont tout ce qui est vivant : arbre, marrons, noisettes…
Je m’arrête sur le chemin et sors mon portable. Jonathan vient de m’envoyer un texto.

J’ai enfin un vrai contact dans mon téléphone portable ! Petit portable doux et chaud tu sais comme je t’aime. Tu vas devenir tout pour moi, je vais te nourrir, t’habiller, et tu vas m’aimer autant que je t’aime maintenant. Je caresserais tes touches très souvent pour parler à mon petit Jonathan et tu aimera ça, hein mon petit portable ? Bonjour Jonathan, je dis à l’écran de mon téléphone, je suis làààà ! ouh ouh ! Jonathan ne me répond pas. Alors j’écris.