Fragment #476 - Juliette et Simon me rendent visite aux Quatre-Vingt Huit

Ce matin, Juliette est passée me voir à la boutique avec Simon. Ca me fait de la compagnie, parce que les clients sont rares. Ils s'émerveillent devant le bric à brac d'objets entreposés, ce fouillis d'antiquités aux formes multiples. J'ai refermé mon cahier, abandonne un moment la vie de Charly, le personnage de mon roman, pour me consacrer à mes amis. Je suis heureux de les avoir, heureux de les connaître.
« Tu n'as pas cours ce matin ? je demande à Simon.
- Non, jamais le vendredi, il me répond. Je me suis fait un weekend de trois jours.
- Tu choisis tes horaires ?!
- Ben oui, c'est comme ça à Paris 8 ! Emploi du temps à la carte, parce qu'on est de pauvres petits étudiants et qu'on a besoin de travailler à côté des cours pour se payer nos études...
- La chance, nous à Dijon on avait pas le choix...
- D'ailleurs, Simon, lance Juliette avec amusement, ça se passe toujours aussi bien avec ton élève ?... »
Ils se mettent à pouffer de rire.
« Expliquez-moi, je demande, je peux pas vous suivre moi là... Il me manque des données !
- Simon donne des cours d'anglais à un gamin le vendredi après-midi et le weekend pour se faire des sous...
- … et c'est un vrai boulet, achève Simon. Je pourrais dire à ses parents que mes cours ne servent à rien, que leur fils est trop con, mais en fait je dis rien parce que c'est un bon filon. Avec un peu de chance à quarante ans il en sera toujours au même stade et moi je serai multi-milliardaire grâce à lui. 
- Tu fais quoi, si tu deviens multi-millardaire ?
- Je deviens LE scénariste-réalisateur français de tous les temps, et j'encule les producteurs, les distributeurs et les exploitants à sec avec des graviers et de l'acide citrique...
- Pas mal, commente Juliette, et moi j'arrête de boire de l'eau, champagne only dans mon mille mètres carré avec vue sur la tour Eiffel ! Et fini les boîtes de nuits ringardes où on fait la queue et où on se fait fouiller par des gros vicelards, et où on paye 2 putain d'euros de vestiaire : je me fais construire une boîte de nuit personnelle !
- Et moi, je dis, … en fait j'en ai aucune idée. »
Juliette et Simon me regardent, les yeux grands ouverts.
« Y a pas un truc que tu adorerais faire mais qui nécessite d'être super riche ?
- Ben... si, évidemment. D'un côté, j'aimerais pouvoir écrire ce que je veux, tranquillement, et c'est déjà ce que je fais, et de l'autre, c'est vrai que j'aimerais bien un mille mètres carrés, mais je suis déjà super bien en colloc avec des amis, donc... »
Juliette fond en larmes instantanément et me serre dans ses bras, et Simon nous enlace, et c'est à ce moment là qu'entre une vieille cliente acariâtre, une bourgeoise sur-maquillée qui doit habiter à deux pas de là, et qui nous regarde d'un air hautain.
Nous nous sourions.
« Juliette, Simon, est-ce que vous voulez bien m'accompagner demain à mon ancien appartement, au Kremlin-Bicêtre, pour récupérer mon chat ? Je vous raconterai tout. »