Fragment #34 - Christelle

La main de Jon dans la mienne. Et la maison de Christelle devant nos yeux. Illuminée de l’intérieur sous un ciel d’orage. Nous passons le portillon. Sonnons à la porte. C’est Jonathan qui s’est occupé du cadeau, vu que je ne la connaissais pas. « Tu verras, elle est très gentille. » La porte s’ouvre sur une chevelure rousse duveteuse, un visage presque blafard et des yeux d’un vert tendre entourés de khôl noir.
« Joyeux anniversaire !
- Oh ! Merci ! »
Elle embrasse Jonathan sur le coin des lèvres. Je ne suis pas jaloux. Il la connaît depuis longtemps. A surveiller, tout de même. Jonathan me présente. Enchanté. Cette jeune fille me plaît déjà. Dans la maison, tout est grandiose. Des invités à tous les étages. Un défilé de couleurs criardes et malgré tout parfaitement assorties. Farandole de prénoms et de visages. Eric, Anaïs, Armelle, Amélie, Julien, Christophe. Je tente de tout synthétiser, insérer dans ma mémoire vive tous ces gens à qui Jonathan fait la bise et qui me la font ensuite. Jon n’a aucun complexe, il me présente directement comme son petit ami, et à part une ou deux personnes qui ouvrent grand les yeux, les autres n’y voient aucun problème. Je ne me sens pas très bien dans ce nouveau train de vie, et je le chuchote à l’oreille de Jon. « Tu t’y feras rapidement », il me dit. Et il avait raison. Je parle à beaucoup de monde, filles comme garçons. J’en retrouverai à la fac l’année prochaine, certains me proposent déjà de l’aide et des visites guidées. J’accepte.
J’embrasse Jon du bout des lèvres. Il me quitte quelques secondes pour aller parler à des amis. Christelle est en un instant auprès de moi. Elle parle sans pouvoir s’arrêter, pose question sur question. Y répond aussi. Je la regarde en souriant. Oui, Jon est gentil avec moi, comment nous sommes nous rencontrés ? Euh, dans un bar. On a beaucoup de points communs. Elle me parle d’elle, de sa vie, de ses amis. Elle aime les animaux, part en prépa lettres l’année prochaine, vu qu’elle a eu mention TB à son bac de Lettres. A Carnot, oui. Elle aime beaucoup mes yeux, elle me dit. Elle pense que c’est ce qui a fait craquer Jonathan. Non, elle ne le pense pas, elle le sait : Jon parle beaucoup avec elle au téléphone. Mes yeux et mon petit air triste. « Et puis le goût de tes lèvres, il paraît. Je peux tester ? » Sans attendre ma réponse, elle m’embrasse. Ses lèvres ont un goût de cannelle et d’amande amère. Parfum des îles. J’aime beaucoup son odeur. La seconde du baiser semble durer une éternité. « Le salaud, il avait raison ! Je dirais barbe à papa et sucre d’orge. Et un peu d’orange sanguine. »
Jon arrive vers nous. Il nous a vu. Il sourit démesurément. « Elle ne peut pas s’empêcher de faire du charme, celle là. Tu ne vas tout de même pas me le piquer, hein ? » En le regardant, j’aperçois derrière lui un homme grand et mince. Le haut du visage caché sous un chapeau mou. Quelques mèches brunes lui tombent sur le front. Je le regarde fixement. Quelque chose d’étrange dans ses yeux gris. Quelque chose de pénétrant. Ne lui manquaient que des ailes. Il me voit. Soulève son chapeau pour me saluer. Et me sourit. « Qui est-ce ? » je demande à Jonathan. « Ah, lui… c’est Romain. Il est très sympa. Un peu bizarre, mais très sympa. »
Il a l’air un peu bancal, en fait. Comme s’il lui manquait quelqu’un à ses côtés. Quelqu’un à protéger. Qui ne serait pas là ce soir.
Je plonge un instant dans ses yeux, histoire de m’imprégner du personnage. Puis je me retourne et embrasse Jonathan. Il a un goût qui prend aux narines, un goût de menthe fraîche, de chlorophylle qui m’excite tout à coup. Je chuchote à son oreille « Oups, excuse-moi pour ce que tu sens là en bas… » Il me répond que ce n’est pas grave, que c’est tout naturel.
Christelle revient vers nous. Avec son sourire des grand jours. Quelque chose va passer le barrage de ses lèvres, je le ressens. Quelque chose d’énorme qui se voit dans ces yeux rieurs, et de très marrant.
« Euh les gars, besoin d’intimité ? Je vous prête une chambre ? »