Mercredi 10 décembre 2008
à Dijon
10h27. Il doit me manquer une facture. C'est pas possible autrement. Je ne veux pas le déranger pour rien. Je cherche à nouveau. Je recompte. Peut-être que l'ordinateur s'est trompé. Je recompte à la calculatrice. Elle s'est peut-être trompé également. Je recompte de tête. Décidément. J'ai pourtant toujours été bonne en calcul mental. J'en conclus que ce sont les données qui sont mauvaises. Ils doit me manquer un chiffre. Ou plusieurs. Mais au moins un. Il ne manque pas grand chose, mais le compte du syndic de la copropriété rue de Metz ne s'équilibre pas, et ça me gêne.
J'imprime mon bilan erroné et je descends au rez-de-chaussée dans le bureau de François Balerme. C'est le responsable du syndic de la copropriété qui m'embête. Il est au téléphone, alors j'attends à la porte. La discussion s'éternise, je me montre à nouveau, mais il ne détourne pas les yeux de la fenêtre. Il raccroche. Enfin.
« Bonjour François.
- Ah ! Sylvie. Bonjour. Tu vas bien ?
- Moi oui, mais les comptes de le rue de Metz moins bien.
- Qu'est-ce qu'il leur arrive ?, plaisante-t-il.
- J'ai un souci, je ne trouve pas pareil entre ce qui a été débité du compte et de ce qu'on a réellement dépensé.
- T'as bien recompté toutes les factures ? »
Je le regarde, un peu ébahie. Je connais son culot naturel, mais ce gamin tout juste sorti de l'école ne va quand même pas m'expliquer comment faire mon travail. Travail que j'effectue, soit dit en passant, aussi consciencieusement que possible. Pour ne pas dégrader nos conditions de travail, une fois de plus je prends sur moi et j'ajoute simplement :
« Tu crois que je viendrais t'embêter si je ne les avais pas déjà recomptées plusieurs fois ?
- Je te charrie Sylvie, le prend pas mal. »
Espèce de petit crétin, je ne suis pas ta copine.
« Viens on va tout reprendre ensemble. » Dit-il assez sérieusement.
Et on est parti, chacun dans nos facture, à éplucher chaque nombre. À comparer les chiffres. Lui sur les originales, moi sur les copies qu'il m'a faites. Je classe et j'organise au fur et à mesure, mais il ne peut s'empêcher de déranger ce que je range. Je reconnais là les affres de la jeunesse. Et je ne dis rien, par habitude peut-être. Pas trop de son désordre, mais de celui des quatre enfants, puis des quatre adolescents que j'ai tendrement élevé. Je pense à mes enfants, pendant que de sa fougue mon collègue continue impassiblement de tourner des pages et des pages de papier. C'est sûr qu'il ne s'économise pas. Le silence a fini par s'installer ; lorsque soudain :
« Non mais attend ! »
Ça y est il a trouvé. Nous sommes sauvés.
« Le bénéfice de l'erreur est pour nous.
- Oui, je le sais bien.
- Et ben c'est pas la peine de chercher alors.
- Comment ça ?
- C'est les copropriétaires qui vont payer la différence, et nous on va gagner un peu plus d'argent sur leur dos. On perd notre temps à chercher une erreur qui va nous faire perdre un peu d'argent. »
Pendant qu'il parlait, il a fait un tas grossier de mes papiers et me les tend.
Je récupère mes papiers et je remonte en fulminant dans mon bureau. Il va falloir reclasser toutes ces factures, et je n'ai toujours pas trouvé l'erreur. Et je déteste les choses mal faites, les profiteurs et l'incompétence. Si je ne me retenais pas, je redescendrais un étage et j'irais lui dire. Mais ça ne se fait pas. Et puis c'est vrai qu'ici je fais un peu partie des meubles. J'étais presque la plus jeune quand je suis rentrée ici, en juillet 1977. C'était mon deuxième poste. Mais après des démissions, des mutations, et des départs à la retraite, il ne reste plus que le patron qui était là avant moi. Tous les autres sont des nouveaux. Des jeunes, moins de trente-cinq ans pour la plupart. Je me sens un peu exclue parfois. Un peu seule. Alors je préfère ne pas me les mettre à dos. Heureusement qu'il y a tout de même une bonne ambiance générale.