Fragment #6 - En piste

Il doit être plus de trois heures du matin. Je m'éclate, seule, sur le dance-floor de l'Enfer, saoule et défoncée. Seule au milieu des corps. Et j'oublie tout. J'oublie Charly Malvo perdu à Nairobi, j'oublie Marc Rozia et son air de prédateur insouciant. Au diable les reliques, et ce foutu Couteau. J'oublie Claire. J'oublie Julian. J'oublie que je suis responsable de sa mort. J'oublie Sethi et ses idéaux. Et ce type qui me regarde avec délectation. Mate mes seins, connard, et fais comme moi : oublie le reste. Je t'hypnotise en dansant, déesse de camphre et d'alcool. Tes yeux toupie comme ceux d'un caméléon, injectés de couleurs qui déferlent, shootées au LSD qui émane de ma peau pigmentée. Je me fous de savoir que Nathan a été repéré au Caire et que ces cons lui ont tiré dessus. Et hop, Nathan rapatrié chez lui, couvert de sang et puant. C'est quoi, son chez-lui ? Ils n'ont rien dans leur dossiers, alors ils le ramènent gentiment là où il a vu le jour, à Bruxelles. Et là Nathan disparaît, se barre de l'hôpital. Volatilisé, votre petit Nathan, évaporé dans la nature. Et vous pouvez toujours courir, il a appris du vieux cinglé comment bien se cacher, comment devenir invisible. Quoi, qu'est-ce que tu veux toi ? Joli brun, fais moi plaisir, approche et ferme ta gueule, ne me parle pas comme tu le fais avec les autres filles, et surtout, surtout, surtout, n'essaye pas de m'impressionner pour mieux me séduire, tu n'en serais que plus ridicule. Je ne suis pas le genre de fille qu'on abuse /putain, ça pisse le sang, y en a partout/ parce que je ne suis pas dans les choses. Toi, tu n'es qu'un mec, alors tu baisses les yeux /regardez-pas, regardez-pas merde vous avez pas le droit de regarder/, c'est compris ? Le mec s'approche, un sourire de con sur les lèvres. Tu crois que je suis ta proie, pauvre type ? Ici c'est toi le gibier. Moi je suis le prédateur, succube malfaisant qui te croquera jusqu'au sang. Tu ignores à qui tu as affaire. La déesse de l'antagonisme, du double jeu insidieux. Celle qui n'a peur de rien et /pitié, pitié abattez moi, je peux pas continuer à vivre avec ce truc qui me pourrit de l'intérieur/ vous regarde du haut de sa supériorité. J'emmène le type dans les toilettes de l'Enfer. Mon regard évite soigneusement la cuvette /ploc, dans l'eau, et adieu, saloperie, et vos regards sur moi qui me lèchent et me salissent/ et je l'assieds sur les chiottes /le bruit, le bruit de la chasse d'eau, l'éclaboussure qui vient me mouiller les fesses, et le sang au large qui dégueulasse le carrelage/, lui penche la tête en arrière, étale un rail sur son front à l'horizontale, et sniffe un grand coup. Ma langue salive dans sa bouche et mes mains le déshabillent, et je m'assois sur lui et je le baise, comme un chien, et il jouit tellement vite que je ne ressens rien, alors je commence à le griffer pour le punir d'avoir été aussi rapide. Putain de jouet de merde, tu sers à rien. Il commence à crier, à me traiter de pétasse.
Si tu savais, pauvre mortel. Je suis bien pire que ça.