Aldébaran
| Sujet: Fragment #36 - Ariane 10.04.08 16:57 | |
| Mardi 15 août 2006 à Dijon J'ai appelé Ariane ce matin. Il fallait que je lui parle, cela faisait si longtemps. Nous avons convenu d’un café place François Rude. Pour 3 heures. Ses doigts pianotent sur la table. « Donc tu es bisexuel, et tu as un copain, Jonathan. C’est ça ? Comment dois-je prendre ça ? » Ses yeux bleus sont froids et plongent dans les miens, pleins d’amertume. Je n’arrive pas à te comprendre, Ariane. Tu savais pour Alex et moi, tu n’as jamais rien dit. Et là, maintenant que je t’annonce que je suis heureux, enfin, mais que c’est avec un homme, tu me méprises. Elle passe une main dans ses cheveux châtains. Qu’ai-je fais pour que tu me méprises à un tel point, Ariane, tu devais être celle qui m’aiderait à sortir de mon labyrinthe, de mon malheur existentiel qui partout me poursuit. Et maintenant que je suis heureux, tu ne me comprends pas. « Ça ne va pas durer, Jed, tu verras. Et alors tu me comprendras. Ce n’est pas une belle vie que tu t’es choisie. Tu as choisi le plus dur. » Tu ne comprends pas que les femmes m’ont fait plus de mal qu’autre chose, jusqu’à maintenant. « Tu ne comprends pas que maman va mal, déjà en ce moment, il ne faut pas leur en parler, je t’en supplie. Laisse-les partir en paix vendredi, après, on avisera. Sa maladie ne lui laisse pas beaucoup de répit, tu sais. Et papa ne fais pas toujours ce qu’il faut. Nous devons être à ses côtés. Donc ta fuite de la maison depuis quelques jours n’est pas vue d’un très bon œil, Jed. » Ses doigts pianotent à nouveau sur la table. Le soleil joue avec le vert translucide de mon verre. Sa tête dandine de droite à gauche. Je connais ce mouvement, mon Ariane, tu n’es pas très à l’aise. Je te comprends. J’ai envie de te serrer dans mes bras. J’ai un nœud dans la gorge à ce moment précis, je voudrais te dire, tout te dire. Crier ce que papa m’a fait. Mais ce n’est pas le moment. Je te laisse me mépriser. Je me suis trompé de route, selon toi. Tu es tellement parfaite. Mon imperfection, mon immaturité te fait de l’ombre et ça, tu ne le supportes pas. Il faudrait tout le temps être là pour la famille, être à tes côtés, maman, parce que tu souffres. Mais je ne peux pas. Je dois fuir, moi. Je ne peux combattre la douleur des autres, ni les y aider. Je souffre trop moi-même. C’est dur à comprendre, je sais, mon Ariane. Tes yeux bleus torpillent mon silence. Tu bats la cadence de mes pensées. Mais aucun mot ne sort de ma bouche. Ce n’est pas possible, tu ne comprendrais pas. Pourquoi es-tu si distante, tout à coup ? Tu me caches quelque chose, qui de ton côté fait aussi mal. J’aimerais le trouver dans tes yeux. Mais ce sont des vraies barrières à cet instant précis. Tu caches ton impuissance. Tout faire pour se montrer forte. C’est toi qui me l’avais appris. Mes tes yeux pleurent de l’intérieur. Des larmes de sang. Le ciel sera de sang ce soir, barré de traînées orangées. Le bleu, tout le bleu de tes yeux, fondu dans les airs aura disparu, laissant une pupille amère et faible, devant ton incapacité à supporter la vie que je te mène. Et la vie que tu mènes, et dont tu ne dis pas un mot. Ariane, parle moi. Dis moi autre chose que ces mots vides et creux sur mon imbécillité congénitale, mon incapacité à vivre normalement. Dis-moi les mots qui te poignardent, les mots qui nous blessent, mais qui pourraient nous sauver. Devant ton mur de silence, je m’expose. J’ose enfin m’exposer. Quelques mots pour déverrouiller ce regard qui me brûle. « Je suis heureux tu sais. » | |
|