Fragment #166 – La neige. Sa sublime pureté.

Il neige. J’imagine Lulla, un sourire énorme aux lèvres. Elle adore la neige ; je n’ai jamais compris comment on pouvait autant aimer ces cristaux froids. En ville, la neige ne reste pas neige très longtemps ; très vite, elle devient gadoue, flaque grisâtre qui éclabousse toujours notre plus beau pantalon, sensation détrempée qui envahit même les bottes les plus épaisses. Dans les films, la neige est belle ; dans la vraie vie, elle est juste chiante. Les bus ne passent plus, on glisse sur les trottoirs, on se prend des boules lancées par des gamins qui ne savent encore rien de la vie.
Je l’entends d’ici : « C’est drôle de faire des batailles de boules de neige, et si tu as froid, ça prouve que tu es en vie. »
Les gens qui pensent ça n’ont rien compris. J’ouvre la fenêtre, m’assieds sur le rebord. Allume une cigarette. Je regarde ma divine eau qui a revêtu ses habits d’apparat. Non, non, ce n’est pas drôle, je maintiens que c’est chiant. Le neige ne devrait pas faire sourire. Elle est d’une beauté saisissante quand elle est encore vierge, Say it ain’t so, Joe en fond sonore. Une de celles qui coupent le souffle, qui font monter les larmes aux yeux. Contrairement à ce que tout le monde pense, ce n’est pas un sujet léger, futile. La neige contient toute la gravité du monde.
Je l’aime et je l’adore, mais jamais ne l’avouerai, de peur d’être condamnée à jouer avec, comme tous ces crétins qui ne voient pas à quel point sa pureté est précieuse.