Fragment #26 - Réveillon à Plombières-lès-Dijon

Le bus de la ligne 30 me ramène, depuis le centre de Dijon, dans la ville de mon enfance. Plombières-lès-Dijon, c'est toi qui m'a vu grandir, et pourtant, je te déteste. Je ne peux pas voir en peinture tes ruelles et tes toits, ton atmosphère de petit village bourguignon, tes habitants tous aussi ploucs les uns que les autres. Je finis le chemin à pied jusqu'à la maison. Allez Laura, courage. Ceux juste pour Noël, ensuite tu rentreras à Paris, dans le grouillement incessant des gens, au coeur du monde. Je n'ai même pas pris ma caméra avec moi. Qu'aurais-je à filmer ici, à part un détestable souvenir de famille inintéressant ?
Je frappe à la porte. Thomas vient m'ouvrir, et me prend dans ses bras. Le chat, que Sylvie a eu le goût raffiné de baptiser « Jean-Pierre », en souvenir de papa, vient se frotter entre mes jambes. Je le chasse de la pointe du pied pour embrasser Pierre, le jumeau de Thomas, qui s'est levé pour venir me dire bonsoir.
Sylvie ne tarde pas à arriver à son tour, insupportablement impeccable, avec ses cheveux roux flamboyants qui irradient son visage.
« Bonsoir ma Laura. Tu es venue, je suis contente. »
Je souris en guise de réponse. Un sourire un peu crispé. Où est Alexandre ? Où est mon petit frère chéri ? Avec le travail à McDonald's, qui m'occupe entièrement le weekend, je ne le vois presque plus, lorsqu'il vient se reposer après ses dures semaines avec les militaires. Lui comme moi, exténués par nos journées intensives, nous endormons sans avoir le courage de sortir, ni même de discuter, comme avant, jusqu'à une heure avancée.
« Alex ne vient pas ? je demande, inquiète.
- Il arrive demain, me répond Pierre en se réinstallant devant le poste de télévision. »
Mon sang ne fait qu'un tour. Pas d'Alex ce soir, pour le réveillon ? Comment est-ce que je vais faire ? Bien sûr, j'aime Pierre et Thomas aussi, mais ce n'est pas pareil. Les jumeaux n'ont besoin que d'eux, ils font tout ensemble. En leur compagnie, on ne peut se sentir qu'en trop. Et puis, nous n'avons pas la même complicité que celle que j'ai développé avec Alexandre, mon petit frère chéri, le benjamin de notre fratrie. Et Sylvie...
Je constate que rien n'a changé en elle. Je ne vois pas pourquoi je ferais un effort. Avec un soupir de déception -autant que de résignation- je me prépare à être désagréable pendant tout le repas.
J'aimerais être loin d'ici, loin de cette province campagnarde. Avec Damien, tiens, pourquoi pas ? Il m'a envoyé un texto il y a deux jours. Je voulais attendre une bonne semaine avant de répondre, histoire de le punir pour ne m'avoir pas donné de nouvelles avant. Mais après tout, je n'en avais pas donné non plus, et je ne me sens pas capable de tenir sept jours.

« Ok pour passer le nouvel an ensemble, si c'était une invitation. Je serai sur Paris, et probablement seule. A bon entendeur... »