Fragment #50 - Fight Against Truth

Les parents sont rentrés vendredi soir. Nous avons mangé ensemble, tous autour de la table, comme une grande famille. Père nous a parlé des amies qu’il s’est fait, et des discussions très intéressantes qu’ils ont eus avec Mère sur la côôôôte. Petit repas aux chandelles improvisé, grande réunion de famille. Maman a eu une longue conversation avec nous, plus que depuis très longtemps. Son traitement marche selon les médecins et elle recouvre peu à peu la santé. La maladie recule. Je me sens un peu prostré là, sur ma chaise, raide et en face de Papa. Du coin de l’œil j’aperçois Ariane qui me lance toujours des regards accusateurs. Ne fais pas d’esclandre, s’il te plait, ma belle, pas aujourd’hui du moins. Profitons de la bonne humeur ambiante, laissons-nous noyer dans les beaux souvenirs de vacances de Papa et Maman, dans leurs mers azurées, dans leurs promenades le long de la plage, dans leurs jeux de cartes avec des amis, dans leurs soirées au restaurant.
« Et toi Jed, alors ? »
J’évite un peu la question, je baragouine que j’ai passé une partie de la semaine chez un ami, enfermé derrière ses stores. Le temps ne nous permettait pas de sortir, et comme je crains de plus en plus le soleil, vous comprenez… Je suis aussi un peu sorti en boîte… Je leur sors mon baratin habituel, leur donner l’impression de crouler sous les informations alors que je les distille au compte-goutte. Ariane ne se prend pas au jeu ; je sens toujours ses yeux d’acier me plomber, là, au centre de mon front. Il faudra qu’on parle, ma belle. Oui, je le sais, je te dois des explications. Je n’ai pas été très correct avec toi. Mais tu es si distante, aussi, comment veux-tu que j’ose t’approcher ? Tes yeux me minent, Ariane, gorgone, je suis tétanisé. Je ne peux rien te dire. Ma conversation ne semble pas se tarir devant les yeux écarquillés de Maman, qui ne laisse échapper un seul mot de mon baratin, et de Papa qui m’écoute distraitement, alors que je vois sa testostérone se déverser contre mon corps qui fait barrage. Je ressens, Père. Je sais ce que tu as fait toute cette semaine, seul avec Maman. Soudain tu as grandi, Père, tu t’es fait plus imposant en une semaine, tes muscles se sont solidifiés en roc. Tu t’es rattrapé de tout ce temps pendant lequel je n’entendais plus le sommier grincer, la tête du lit cogner un peu contre la cloison de ma chambre et vos halètements sourds. Et les gémissements de Maman.
J’ai fini. Enfin, je crois. Toute une semaine factice a défilé devant leurs yeux éblouis de parents fiers. Je suis un bon menteur, non ? Vous ne distingueriez même pas la vérité du mensonge. Tout est si bien tissé. Je pense aux mensonges que les prétendants au trône d’Ithaque recevaient jour après jour. Et à la tapisserie qui se défaisait pendant la nuit.
Les yeux aciers d’Ariane me transpercent. Ne découds pas mon histoire, s’il te plait, Ariane.
Retiens ton fil.