Fragment #151 - Rupture

Lola me regarde droit dans les yeux. Ses pupilles noires fixées dans mes prunelles acajou. Toute la joie des premiers jours, cette allégresse débordante qui bordait les rivages de son regard sombre d’une écume fraîche et rieuse, s’est retirée. C’est une Lola différente de celle que je croyais connaître qui se trouve face à moi, dans ce petit café dijonnais. Elle me toise sans rien répondre, comme pour jauger la réalité de l’instant présent, examiner mes trois petits mots qui, comme je l’imagine, résonnent sans doute encore dans son crâne. Je suis vraiment désolé Lola. Je ne voulais pas en arriver là. Mais mon Cœur me l’a dit, il fallait que je le fasse. Et je souffre de t’imaginer repartir, seule de ton côté, et moi du mien. Tout bonheur me sera insupportable, car je ne saurai savourer un quelconque plaisir avec à l’esprit l’obsession de ta douleur, quelque part. Encore une fois, la culpabilité me ronge.
Lola détourne les yeux. Enfin, je peux respirer… Elle passe une main dans ses cheveux noirs et cale une mèche derrière son oreille. Un sourire commence à s’étaler sur ses lèvres. Sa bouche rouge et tendre, couleur viande saignante, s’ouvre lentement. Je n’avais pas prévu cela.
« Mais dis moi Julian, tu m’aimes encore ? »
Bouleversement intérieur. Cœur, sale traître, tu n’avais pas envisagé cette question ! Dans quelle situation m’as-tu jeté ?! La panique se répand dans ma tête et voilà que l’Organe se met à pulser avec puissance.
« Je… je ne sais pas…
- Tu ne sais pas ?
- Je t’aime encore mais…
- Mais quoi ? »
Lola semble agacée. Ses yeux noirs se voilent de nuages. Le vent brasse dans son regard une véritable tempête.
« Je ne suis pas prêt à m’engager, dis-je lamentablement. »
Tandis que je baisse la tête, honteux de balancer une excuse aussi pathétique, j’entends la chaise de Lola racler le sol. Debout devant moi, elle sort de son porte monnaie un billet de cinq euros qu’elle dépose sur la table et cale sous le cendrier.
« On m’avait jamais sorti un truc aussi con, Julian. Fais moi signe quand tu seras prêt. »
Lola, ma petite princesse, ma fleur d’alizé, tu me jettes face à moi même en tournant les talons avec fierté, face à mon incapacité à être là pour toi. En rentrant chez moi ce soir, avec le sentiment de ma solitude exacerbé par la réalité – je suis seul - j’ai le cœur qui bat à tout rompre.
Et je ne comprends pas pourquoi.