Jeudi 8 janvier 2009
à Paris
3h04. J'ai du mal à me faire à ces locaux. Je me suis presque perdu en remontant dans ma chambre. Pour ma défense, je ne connais les lieux que depuis avant hier, et je n'ai pas vraiment dormi depuis. Je termine mon service ce soir à dix-huit heures après quarante-huit heures de garde. Je suis exténué. Je reconnais le couloir. Je traîne des pieds sur le carrelage. Je m'approche de ma porte, elle s'ouvre et Pierre s'apprête à sortir.
« Hey frangin, je te cherchais !
- Moi je cherchais ma chambre.
- Ça va ? Ça se passe bien pour le moment ?
- Bof, là je viens de faire un feu de cheminée.
- C'est pour ça que tu pues ?
- Très drôle Pierre.
- Je vais te laisser te laver, et après tu peux me rejoindre en bas si tu veux. On pourra se faire un jeu de carte, ça t'évitera de t'endormir.
- Ouais.
- Mais va te laver avant. Et tu diras à celui qui partage ta chambre de cirer ses chaussures ! » En disant cela il jette un regard malveillant, sur le lit ou mon camarade gît ronflant.
Ça, il ne l'oublie pas qu'il est mon chef ! C'est tout de même un avantage de l'avoir ici. Je suis un peu moins perdu que si j'étais arrivé dans une caserne sans connaître ni rien ni personne. En plus, le quatrième arrondissement c'est une chance. Et là il faut remercier mes bons résultats sportifs et mes bonnes notes à l'écrit. Arrivé douzième sur quatre-vingt j'ai encore pu choisir une bonne caserne. La caserne du Vieux Colombier. Mes frères m'ont conseillé dans mon choix. J'ai ainsi pu éviter la banlieue et les quartiers chauds. Pour mon premier service opérationnel je trouve que c'est important d'être dans un cadre agréable qui permette la poursuite de l'enseignement. Pour l'instant, comme celui qui partage ma chambre, je suis considéré comme stagiaire. Je dois faire mes preuves. Devant moi, trois mois de service incendie-OD. OD pour opérations diverses. Je suis super heureux mais j'ai du mal à m'en rendre compte. Quarante-huit heures de garde et trois jours de repos. Et cela pendant trois mois. Plus que 14h30 avant la liberté. Je m'assois sur le bout du lit, enlève mes rangers, et laisse mon dos s'affaler sur le matelas. Je ferme les yeux un instant. Un instant seulement. Il faut que j'aille me laver. Il faut que j'aille. Il faut que. Il faut. Il.
Tiritiritiritiritiriiiiiiiiiiii...
Je me redresse. Réveillé comme après trois jours de sommeil. Je remonte les fermetures éclaires de mes rangers. L'adrénaline, encore une fois, gardera mes yeux ouverts. En courant dans le couloir je regarde sur le bipeur.
FPT1
Équipier 2
Ouverture de porte.Dans la continuité de ma course dans le couloir j'attrape la barre, et descends trois étages en moins de deux secondes, pour me retrouver dans le garage en effervescence . J'ai toujours rêvé de faire ça. Je me dépêche de quitter la zone d'atterrissage, parce que derrière - ou plutôt au-dessus –, ça arrive vite. J'attrape dans mon vestiaire mon casque et ma veste ; je saute dans le camion. Encore un, et il démarre. Le scénario est le même depuis mardi 18h. Je me suis déjà arrêté de compter le nombre de sortie effectuées. J'aurais fait en une garde presque autant d'interventions que dans ma vie de sapeur pompier volontaire. Et le jour ne s'est toujours pas levé.