Fragment #23 - Grand froid

La musique s’écoule lentement autour de moi. Assis dans mon fauteuil, je regarde la nuit tomber. Le noir envahit mes pensées, la glace saisit mon cœur, les barrières abattues maintenant redressées. Comment ai-je pu vouloir m’abaisser à ce point ? Comment expliquer un tel laisser aller ? Mon comportement me saute aux yeux : je n’étais qu’une loque qui se laisse dominer. J’écoutais les pitoyables discours de ces larves humaines, pleines de défauts ; ces cafards qui subissent leur vie au lieu de la dominer.
Roman, cet abruti qui n’a même pas saisit la valeur de ce que je lui offrais. Qu’il reste dans sa vie de minable, avec sa petite danseuse, à servir des cafés.
Ma sœur, cette arrogante qui se permet de me faire la morale, qui a réussi à me faire culpabiliser. Comment ai-je pu écouter ses pauvres discours sur la famille. Qu’elle se garde ses illusions qui la protègent de la réalité.
Cette pitoyable CPE qui ose me punir, moi qui suis venu dans ce lycée uniquement pour réaliser ma vengeance et qui ne reste que pour éviter les soupçons.
Ce petit gay de base, cette tapette d’Elyan. Comment ai-je pu le laisser m’impressionner ? Comment ai-je pu lui montrer qu’il m’avait déstabilisé ? Cette sale enflure qui se laisse tabasser et qui ensuite ose prétendre être prête à tuer.
La colère bouillonne en moi. J’ai passé une année à me construire, à m’éduquer. Un an pour améliorer mes capacités d’analyse, ma rationalité. Tout cela pour en arriver là, au risque de tout faire échouer. J’aurais du laisser ce jeune homme crever, ne pas m’en mêler. Le pire c’est que maintenant je me méprise. Mais ça ne va pas durer. Les changements sont déjà amorcés.
Elyan qui s’est enfin décider à me parler se retrouve face à un mur, une paroi de glace sur laquelle il ne peut pas s’accrocher. Si il m’adresse la parole je me contente de le fixer, les yeux froid et le visage fermer, me détournant de lui avant qu’il ai terminé.
Sa confiance d’hier n’est plus qu’un vague souvenir, réduite en charpie par le regard froid de mes yeux acier.
Le temps n’est plus aux questions. Place à la reconstruction.

J’allume une cigarette tandis que le Stabat Mater de Pergolèse s’achève. Le silence se fait. J’observe les stalactites qui pendent sur l’immeuble d’en face. Je laisse le fiel s’écouler, m’envahir, me nourrir. Puit auquel je m’abreuve d’une nouvelle force, feu qui me refroidit de ses flammes glacées. Le froid hivernal n’est rien comparé à la bise qui souffle sur mon âme, comparé au gel qui enserre mon cœur.