Vendredi 9 janvier 2008
à Dijon
« Oui je peux le prendre. Fais le patienter un instant je vais venir le chercher.
- D'accord je lui dis.
- Merci. »
Je raccroche. Je termine rapidement ce que j'étais en train de faire et je me lève. Je vais chercher dans l'armoire le dossier de ce monsieur, et je descends. Ce qu'il fait froid dans ces escaliers. J'arrive en bas. Je n'ai pas le temps réagir que je me fais déjà traiter de tous les noms. Anita derrière son bureau d'accueil est terrifiée.
« Calmez-vous monsieur. Expliquez moi ce qui se passe.
- Je me calme si je veux connasse. Je vais pas payer ça ! C'est inadmissible ! »
Il me tend une facture. Comme je la prends, il se tait un instant. Nom. Adresse. Objet. Les connexions s'établissent, je me refais l'historique dans ma tête.
« J'en ai rien a foutre moi du ravalement de façade. Je veux pas le payer.
- Vous êtes obligé de payer. C'est vous qui avez voté, pendant la dernière assemblée générale de votre copropriété, la réfection de la façade de l'immeuble.
- J'y étais pas à cette putain de réunion ! Je vais pas payer.
- D'où l'intérêt d'aller aux assemblées pour donner son avis.
- Sale raciste, tu crois que comme je suis rebeu je vote pas.
- Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je vais vous demander de modérez vos propos et de sortir monsieur. Ici le racisme vous l'avez créé vous même.
- Je sors si je veux.
- SORTEZ !
- C'est bon j'me casse vielle peau. »
Il s'en va, entraînant derrière lui le gamin qui doit être le sien.
« Bah dis-donc Sylvie ! Je ne pensais pas que vous étiez capable de vous énerver comme ça. »
Je me force à lui adresser un sourire et je tourne sur mes talons. C'est le deuxième de cet immeuble qui vient cette semaine. Il faut qu'ils se tiennent au courant de ce qui se passe chez eux. Tout le monde s'en fiche de ce qui se dit aux assemblées générale de copro, mais personne n'est content de ce qui se décide. Je commence à avoir l'habitude, par contre je n'ai pas celle de m'énerver, et je préférerais ne pas la prendre. Je crois que je ne supporte pas que l'on passe outre mon intégrité. Je suis loin d'être raciste.
J'arrive dans mon bureau mes pensées grondant encore dans ma tête. S'il croit que je vais me laisser faire parce que je suis une femme, il se fourre le doit dans l'œil. Et profond. Le téléphone sonne. Je lâche le dossier sur le bureau, et attrape le combiné.
« Sylvie je vous passe Madame Maturin de la rue Gagnerot.
- Oui je la prends. »
Lui répondre, où comment perdre son temps. Voilà ce que je me dis à chaque fois que cette dame appelle. Depuis qu'elle a perdu son mari l'an passé, elle appelle tous les mois pour nous dire qu'elle a bien reçu la facture, demander si elle peut comme d'habitude payer en plusieurs fois, et savoir si elle doit toujours adresser le chèque à l'ordre habituel. Évidement que c'est comme d'habitude ! Je garde mon calme. De toute manière je ne peux que lui parler calmement, parce que si je vais trop vite elle me fait répéter.
Je me remets dans l'enregistrement des chèques reçus cette semaine. Un. Deux. Trois. Quatre. Et le téléphone sonne à nouveau. Je n'arriverai donc jamais à enregistrer ces chèques. Je décroche.
« C'est pour vous prévenir que monsieur Bethlam monte. Je n'ai pas pu le retenir. »
Je l'entends dans l'escalier. Je vais à sa rencontre. Il arrive courbé sur ses trois pattes ; on se demande toujours s'il ploie sous le poids de son béret ou s'il est attiré compulsivement par le sol. J'ai toujours peur qu'il tombe. Apparemment il se débrouille mieux qu'on ne le pense. Ça fait tant d'années qu'il vient m'apporter des chocolats pour la nouvelle année, personne ne va l'empêcher de monter.
« Bonjour monsieur Bethlam.
- Bonjour belle enfant. Je vous apporte des chocolats.
- C'est gentil. Il ne fallait pas.
- Je vous fais la bise.
Alors les affaires ça marche bien ? J'ai vu que vous aviez loué mon appartement à un couple de jeunes mariés. Ils ont l'air charmants. Je vous félicite.
- Ce sont mes collègues de la gérance qu'il faut féliciter, moi je m'occupe simplement de vérifier qu'il paie bien, et de vous transmettre votre part du loyer.
- Oui mais vous savez que pour moi c'est vous qui faîtes tout. Il n'y a plus que vous que je connaisse ici.
Allez je vous laisse, le bus doit repasser bientôt et vous devez avoir du boulot. Meilleurs vœux et continuez à faire marcher la boutique.
Je vous refais la bise. »
Je me remets sur mes chèques. Midi sonne au clocher. Je mets mon téléphone sur répondeur et descends manger.
Alain est là. Il discute avec
les-deux meilleurs-collègues-du-monde en faisant de grands gestes. Je m'assois avec eux et mange en silence.
Une fois que j'ai fini je remonte m'avancer avec mes chèques pendant que je suis sûre que mon téléphone ne va pas sonner. Aussi et surtout parce que nous ne sommes plus au collège, leurs discussions d'ados attardés m'exaspèrent. Alain se vante d'avoir vu le nouveau responsable des ventes quand il est venu signer son contrat. « C'est trop un sexe symbole, genre Hugh Laurie dans Docteur House, avec un air mystérieux. » Je ne connais ni l'un ni l'autre. Et ça ne me manque pas.