Alioth
| Sujet: Fragment #1 - Retour à Paris 11.04.08 1:21 | |
| Lundi 7 avril 2008 Boeing 767 en direction de Paris Pas de vie propre et créatrice sans indépendance. Se sentir libre, respirer, défaire le boulet accroché à notre jambe pour pouvoir convenablement marcher. C'est un truisme : l'indépendance offre la liberté. Mais peut-on être réellement libre ? Il suffit de regarder les passagers du Boeing 767 numéro 121 au départ du John F Kennedy International Airport de New York, destination Paris, pour en douter. Une femme d'un certain âge s'arrête au niveau de mon siège, déjà relativement inconfortable, et m'indique qu'elle est assise-là, près du couloir. J'essaie de négocier avec elle couloir contre hublot, mais elle rejette la proposition fermement. Et je la comprends : il n'y a rien à voir par le hublot, si ce n'est un aéroport au décollage, et quelques paysages dans les nuages entremêlés quand on survole la terre ferme. Je pense à mon genou qui ne me fait pas encore mal, mais ça ne saurait tarder, et à cette vieille qui sent le jasmin et qui m'emmerde déjà. Elle me regarde avec insistance, attendant que je daigne me lever et lui laisser la place. J'ai beau être un homme, jeune, plutôt beau, musclé, d'une tête plus haute qu'elle, elle ne manifeste aucune peur, aucun fléchissement dans sa réponse. Je regarde autour de moi, dans l'espoir de trouver quelque steward avec qui je négocierai au moins un siège où je puisse étendre mes jambes, mais les seuls stewards que je vois sont pris par d'autres voyageurs qui n'arrivent pas à trouver leur siège ou à faire entrer leurs bagages à main dans les soutes appropriées. Je me décale donc pour laisser la place à la vieille dame. A peine est-elle assise, sans m'avoir préalablement remercié, qu'elle tourne le bouton de l'air conditionné, décale la source m'envoyant ainsi en pleine figure un air frais et qui sent le renfermé. Je la regarde, essaie d'être agréable, et lui demande s'il est possible de désactiver l'air conditionné ou, tout du moins, de le diriger sur elle et non sur moi. Mais elle m'indique qu'il fait trop chaud, déjà. Je comprends, lui fais-je, cependant, dans ce cas, qu'elle dirige l'air sur elle et non sur moi. « Il est trop fort. » Puis elle ouvre un magazine. Je me lève, dirige l'air frais sur sa tronche de mégère capricieuse et elle me fusille du regard. Tant pis. Je ramasse le billet d'avion que j'ai fait tomber en me levant et constate que je n'avais pas fait d'erreur : c'est bien moi qui suis assis côté couloir. J'interromps la vieille femme dans sa lecture et lui montre le billet. Elle vérifie le sien, constate son erreur et, après quelques râles et un baragouinage de circonstance (j’imagine), elle me cède la place. « Vous n'avez vraiment aucune éducation. », me dit-elle en ajustant sa robe à fleurs bleu pâle. Je hausse les épaules : « C'est vrai que vous, vous en avez. » Puis je me plonge dans la lecture de ces magazines que l'on trouve à bord des avions et qui exposent tous les produits que l'on peut acheter en duty free. Je lis plus pour couper cours à la conversation qu'autre chose.
Je pense à Fort Lauderdale que je viens de quitter. Ses palmiers au bord de la plage au sable fin. Les barbecues après le travail. Ma résidence avec piscine. Les soirées chaudes et humides. Les homosexuels de Key West. Le Festival du Film. Je pense à l’espace, les larges avenues, les centres commerciaux qui sont comme des villes dans la ville. Je pense aux yachts sur lesquels les réceptions étaient organisées, les célébrités que j’ai croisées, l’opulence dans laquelle j’ai vécu. Aux ratons laveurs qui se donnaient rendez-vous devant le parc le soir. Les grosses voitures décapotables. Les Américains aux corps bronzés et parfaitement sculptés. Cet homme en chemise et cravate sur un short très coloré. Les filles en rollers sur la piste cyclable qui longe la plage. Les parties de beach volley chaque soir.
J’ai pris deux comprimés avant de monter dans l’avion. La boîte indique : promotes sleep. Je sombre rapidement dans un sommeil cotonneux, fait de réveils intermittents et de rêves étranges. Fort Lauderdale. Paris. Immenses étendues, plage et soleil. Immeubles haussmanniens et cafés de quartier. La rue Charonne et ses petits bars. Las Olas Boulevard et ses magasins chics. De temps en temps, Grégoire hante mes rêves, son sourire, ses blagues idiotes, son goût pour la musique et le cinéma. Son visage est flou. Je me réveille avec la tristesse de ne pouvoir me le rappeler exactement. Grégoire est mort depuis plus d’un an. J’avais quitté Paris pour y laisser ma tristesse. Me voilà sur le chemin du retour. | |
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