Lundi 12 janvier 2009
à Dijon
Comme, même en restant deux heures supplémentaires -non payées, quoi qu'en dise notre cher mini président-, je n'ai pas pu terminer d'enregistrer les chèques vendredi soir, c'est par cela que je commence ce matin en arrivant. La pile est encore haute.
Il ne m'en reste qu'une dizaine. J'en vois enfin le bout. D'abord chercher le nom dans le serveur. Vérifier l'adresse sur le chèque, parce que parfois certaines personnes paient pour d'autres. Elles ont le même nom que d'autres locataires dans nos fichiers. Une erreur est vite arrivée ; il est si simple de se tromper de compte client. Ces vérifications effectuées, je rentre la somme dans l'ordinateur, et vérifie, de tête et à la calculatrice que celui-ci accomplit le bon calcul. Il n'y a presque jamais d'erreur. Quand il y en a dans les chiffres c'est que je n'ai pas rempli les bonnes cases. A force de faire la même chose tous les mois, on finit par savoir où sont les habituelles erreurs. En attrapant le dernier chèque, je lève la tête pour regarder la pendule. Adossé à l'embrasure de la porte, un homme en costume me regarde placidement. Ses yeux pétillent d'amusement. De malice.
« Bonjour monsieur, je peux vous aider ? Dis-je, vexée qu'on me regarde ainsi.
- Mario Delagne. Je suis le nouveau responsable de la vente. Avant de rencontrer des clients je voulais faire le tour de mes nouveaux collègues. »
Comme il s'approche je me lève de ma chaise, un peu honteuse de l'avoir pris pour un client indiscret. C'est un homme typé méditerranéen, la quarantaine passée, mais qui semble prendre soin de lui. Je tends ma main, il la prend, je la serre professionnellement, il me tire à lui.
« On peut se faire la bise entre collègues. »
Je regagne ma chaise. Il détourne enfin les yeux des miens. En tournant sur ses talons pour quitter le bureau il ajoute :
« Surtout lorsque la-dite collègue que l'on embrasse est des plus charmantes. »
Il disparaît. Pour qui il se prend celui-là ? On ne se connait pas. Il me fait la bise.
Charmeur. C'est vrai qu'il sent bon ; mais après tout il ne suffit pas d'être bien habillé et sentir bon pour pouvoir tout se permettre.
Je souris.
« Eh ben Sylvie ma cochonne ! »
Alain et sa chemise jaune canari font irruption dans mon bureau.
« C'est vers toi qu'il se cachait le nouveau. Une bombe sexuelle je te dis. Une bombe sexuelle !
- Je n'en sais rien.
- Me dis pas que t'as pas regardé ses yeux bleus et ses cheveux d'ébène. Avec son allure d'hidalgo argentin il me donne des envies pas très catholiques. J'en ferais bien mon quatre-heures. Pas toi ?
- T'es bête.
- Vraiment je ne sais pas ce qu'il te faut. »
Je me remets au travail. Alain c'est le stéréotype de l'homosexuel quadragénaire célibataire bien dans sa peau. Il en fait des tonnes. Mais c'est aussi le plus ancien des nouveaux. Il est arrivé quatre ans après moi. Et lui aussi en a vu défiler des collègues dans ces bureaux aux murs fins. On s'entend bien. C'est le seul de la boîte que je tutoie.
Je me suis trompée pour mon dernier chèque. J'ai vite fait de trouver l'erreur. Mais ceci a le don de m'énerver.