Fragment #6 - Bonjour Papa.

Je suis dans la salle de bain, face à mon reflet. J’ai laissé Gabrielle m’habiller et me coiffer, mais je me maquille seule. Elle a relevé mes longs cheveux en un chignon lâche, très joli. Je porte une robe à elle, simple mais élégante, d’un blanc crémeux. Dans quelques minutes papa doit arriver. Il a accepté de venir bien qu’il sache que je suis là. C’est étonnant. Gabrielle a inventé une histoire qui tiendrait presque debout si je n’avais pas cette mine de droguée : Mon fiancé Antoine est mort dans un accident de voiture, me laissant seule et enceinte. Ne sachant que faire je serais revenue… Ridicule…
Je pense sérieusement à me mettre à l’équitation, même si j’ai toujours détesté les chevaux…
Mon visage se tend, je retiens mes larmes. Il ne faudrait pas que mon maquillage coule… Je me pose une main sur le ventre et repense à Lundi… Lundi où je suis arrivée en trombe en plein enterrement… Lundi où j’ai hurlé des obscénités à n'en plus en finir…Lundi où j’ai craché sur son cercueil… Lundi où le père de la chose a été mis en terre… Lundi où Tim et Gabrielle sont arrivés calmement au poste de police… Lundi où Tim m’a pris dans ses bras. Lundi où j’ai compris qu’il fallait que je m’en sorte.
On sonne à la porte. Je me précipite dans le salon, tout doit être parfait. Tim est vraiment beau avec sa chemise blanche et ses cheveux attachés. Ma sœur ouvre la porte, elle aussi est magnifique. Elle porte une jupe bleue et un corset bleu lui aussi. Elle se pousse pour laisser entrer mon père. Il s’avance. Il a sacrément vieilli… Ses cheveux sont gris, complètement gris. Son visage est marqué d’une multitude de rides que je n’avais jamais vue. Ses yeux marron semblent fatigués et il me semble plus petit qu’autrefois. Il me voit, et plante son regard dans le mien. Soudain, j’aperçois derrière lui, une femme, plus jeune que lui. Elle entre à son tour en souriant. Il la regarde en souriant et me désigne du doigt.
« Monique, voici Lena. »
Tim scanne l’inconnue de haut en bas. Et Gabrielle semble gênée, mais pas étonnée. Visiblement, elle était au courant de l’existence de « belle maman » . Mon père s’avance vers moi, et poliment me prend dans ses bras. L’étreinte est froide. Je crois qu’il veut simplement garder les apparences. Tous les deux me félicitent de la « bonne nouvelle » et je me retiens une fois de plus de craquer. Durant le repas, mon père me regarde en coin, les yeux brillants de larmes. J’avale le repas de ma sœur, répondant aux questions que l’on me pose avec calme, mais je boue de l’intérieur. Je suis perdue, et je veux sortir d’ici…