Fragment #506 - Vivre la vie à pleines dents

Dans une semaine, c'est l'anniversaire de Lola. Et je veux lui faire un cadeau qu'elle n'oubliera jamais. Après tout, est-ce que ça ne fait pas un mois que nous vivons ensemble et que tout se passe pour le mieux ? Oui, évidemment, c'est précipité. Est-ce qu'elle va m'en vouloir ? Est-ce qu'elle va prendre peur ? Notre plaisanterie de dimanche soir refuse de sortir de ma tête. J'imagine déjà la scène, elle me fait peur et sourire à la fois. J'ai vingt-deux ans. Est-ce que je suis encore trop jeune ?
J'en tremble. Les gens autour de moi dans le métro ne doivent pas s'en apercevoir, mais je frissonne de part en part. Vite, les portes s'ouvrent, je descends sur le quai, remonte les escaliers, émerge à l'air libre. Non, ça reste dans ma tête. C'est une idée fixe. Une idée effrayante et séduisante à la fois. Je souris, tout seul, en marchant vers l'immeuble de mon grand-père. Lola rêve d'être une princesse. Elle attend de moi que je la traite comme tel. Elle attend de moi que je sois un prince charmant. Qu'y aurait-il de plus charmant que de le lui demander le jour de son anniversaire ? Quel plus beau jour que celui-ci ? C'est un cadeau qu'elle n'oublierait pas, c'est sûr. Et puis nous sommes jeunes, certes, mais les événements de ces dernières années m'ont prouvé que nos vies peuvent ne tenir qu'à un fil, qu'il faut saisir les instants sans attendre. C'est maintenant que nous devons vivre la vie à pleines dents.
Je monte les escaliers du vieil immeuble, pousse la porte de l'appartement de Robert. Il m'attend, assis à sa table, ses petites lunettes sur le nez grossissant les lettres d'un livre de Marcel Proust.
« Bonjour grand-père.
- Ah, tiens, bonjour mon petit Julian, comment vas-tu ?
- Très bien, et toi ?
- Oh ça va, ça va.
- Dis-moi grand-père, j'ai un service à te demander.
- Oui ?
- Il me faudrait un peu d'argent en avance sur mon salaire. Pour acheter une bague de fiançailles. »