Fragment #47 - Le fils préféré

Je frappe à la porte de la chambre de Lilian. Pas de réponse. Je sais pas s'il dort ou bien s'il a découché. La porte est fermée à clé. Tant pis.
« Bon frangin j'emmène Léa chez papa et maman, ils nous attendent pour midi, je sais pas si t'es là et si tu m'entends mais je leur dirai que t'avais trop de boulot pour la fac et que t'as préféré rester pour réviser. Ciao. »
Léa et moi on quitte l'appartement et on descend les escaliers de l'immeuble. Puis on se dirige vers la voiture garée vers le rempart de la miséricorde et je nous conduis en haut de l'Avenue Victor Hugo, vers Montchapet. On gare la voiture et on va rejoindre la grande maison du 148. Je frappe à la porte. Maman vient nous ouvrir. Elle prend la petite qui lui saute dans les bras.
« Bonjour ma chérie ! Comment tu vas ? Mamie est contente que tu viennes la voir tu sais ! »
Je fais la bise à maman, referme la porte derrière moi, vais dire bonjour à papa dans son bureau.
« Ca va, fils ?
- Ca va et toi ?
- Les organes souffrent en silence. C'est tout ce que je leur demande. Et toi, le travail ? Les finances ?
- On s'en sort.
- Tu n'es toujours pas décidé à te lancer dans une formation plus pointue ?
- Papa, j'aime bien ce que je fais. »
Je dis en tournant la tête, parce que c'est un énorme mensonge.
« Florian, tu as vingt-cinq ans. Tu as encore l'âge d'apprendre.
- J'aime pas qu'on m'apprenne des choses.
- C'est dommage. Tu es jeune et tu es intelligent. Tu pourrais faire mieux que simple technicien informatique.
- J'pourrais aussi ne rien faire du tout.
- Je ne le tolèrerais pas.
- Ben Julian il fait quoi, lui ?
- Julian c'est autre chose.
- Ouais, parce que Julian c'est le petit génie.
- Ton frère a des talents que tu n'as pas, c'est vrai.
- Ouais, mais moi je suis pas cinglé. »
Je tremble de colère. Je sais que j'aurais pas dû dire ça, mais ça m'énerve trop.
« Florian, tu as d'autres atouts que Julian et Lilian n'ont pas. Et ne fais pas une crise de jalousie, tu sais très bien que tu as toujours été notre favori, à ta mère et à moi. »
Je détourne la tête. Je déteste quand papa me dit ça. Ca me donne envie de vomir. Envie de téléphoner à Julian et de lui dire « fais moi une place chez toi, je débarque à Paris ». Envie de rentrer à l'appart et de dire à Lilian « viens, on se casse tous les deux chez Julian ». Parce que j'aime mes putains de frères. Parce que j'ai envie de frapper papa quand il nous met pas tous les trois sur le même pied d'égalité. Mais c'est mon père, merde. Il a survécu à une tumeur au cerveau, mais on est jamais sûr que ça va pas revenir. C'est peut-être la dernière fois que je le vois. A chaque fois.
Alors je ferme ma gueule. Mais pas lui.
« Et sinon, tu comptes nous présenter une nouvelle fiancée bientôt ? »