Alioth
| Sujet: Fragment #38 - J'ai faim 04.02.09 0:37 | |
| Mercredi 4 février 2009 à Paris J'entends Jacqueline dans la cuisine en train de faire cuire les pâtes et de sortir les couverts. Il est assez tard et je suis fatigué par notre balade de cette après-midi. Michael est au lit depuis deux heures. Plusieurs fois, encore, comme chaque jour, il a demandé où était Grégoire. Je ne sais pas lui répondre avec franchise. Il est loin. C'est tout ce que je trouve à dire. Loin et il ne reviendra pas. Mais il t'aime. Je termine toujours par cette phrase. Il t'aime. Il t'aime de tout son coeur. Je trouve cela idiot, mais j'ai envie de le dire. Je ne crois pas que Michael aimerait entendre autre chose. Il n'est pas prêt. Le sera-t-il bientôt ? Il est si jeune. Qu'est-ce que je vais faire de lui ? Cet enfant n'existe pas. Le Padre vient nous rendre visite tous les deux jours et s'occupe de son éducation. Moi, je n'ai pas vraiment le temps, même si cela paraît paradoxal, car je n'ai rien d'autre à faire qu'à le regarder évoluer. Mes journées sont longues et répétitives. Je dors mal et peu. Je me réveille souvent en pleine nuit en train de hurler des choses que je ne comprends pas. Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi mes parents ne passent pas plus souvent. Ils poursuivent leurs déplacements professionnels comme s'il ne s'était rien passé. Je ne sais même pas ce qui s'est passé, mais j'ai bien conscience qu'il s'est passé quelque chose. Les médecins ont dit que j'ai eu un choc. Le Padre me dit qu'il m'a trouvé inanimé par terre. Je ne me rappelle rien du tout. Juste tout ce temps de perdu. Des heures et des journées évanouies.
Jacqueline revient dans le salon avec les assiettes dans une main et le plat de pâtes dans l'autre. Elle dépose le tout sur la table avec brusquerie.
Ca me gonfle de faire la cuisine. Je ne le fais même pas pour moi. Je ne te force pas. Evidemment ! Il ne manquerait plus que ça...
Jacqueline Koltz habite chez moi depuis quelques mois maintenant. Depuis l'accident. Je ne sais pas quand elle est arrivée. Ni qui l'a accueillie. Ni ce que nous avons convenu, si tant est que nous ayons convenu quoi que ce soit. Je sais qu'un matin elle était là et que depuis elle ne m'a pas quitté. Cette vieille femme râleuse prend la place de ma mère. Je m'habitue à son odeur de patchouli et à sa vulgarité (que je ne lui avais jamais connue lorsque nous travaillions ensemble). Cette femme d'un certain âge semble tout droit sortie d'un roman de Pennac. Une vieille femme un peu disco, avec une carabine dans le sac à main. Je la surnomme ma fée carabine, en hommage à la tribu Mallaussène. Jacqueline est une fée ; il n'y a pas de doute.
La voilà qui coupe les pâtes et ajoute du parmesan.
C'est un crime de couper des spaghettis, je dis. Un crime, un crime, tu t'y connais en crime toi ?
Elle tend la fourchette vers mes lèvres. Je mâche et j'avale. Le geste se répète plusieurs fois de suite. De temps en temps, elle s'interrompt et prend le temps de manger son propre plat. J'ai froid.
J'ai faim. Ben qu'est-ce qu'on fait à ton avis, là ? On danse ? Non, j'ai FAIM. Tu te répètes. J'ai FAIM. Pas faim.
Jacqueline comprend alors que mon problème resurgit. Je peux bien penser à la sensation de froid, au mot froid, visualiser de la glace, une ville de Sibérie... Le mot ne sort pas. Je mélange "froid" et ce que nous faisons à l'instant.
Tu as FROID ? Oui, j'ai FAIM. D'accord.
Elle pose ses couverts.
FROID. F-R-O-I-D. C'est quand tu frissonnes. FAIM. F-A-I-M, c'est quand tu as envie de manger. Je sais. Essaie ! J'ai... FR..AIM. Non. Tu ne mangeras rien d'autre si tu t'entêtes. J'ai. FROID. Oui. Je vais monter le chauffage. Elle se lève. Il n'a jamais autant caillé que cette année depuis cinq ans. Enfin, si je me rappelle bien. Je déteste le froid. Je sais. En Floride, ce devait être différent. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a en Floride ? Il n'y a rien. Tu y as passé un an, c'est pour ça que je t'en parle. Et c'était bien ? Je ne sais pas, je n'étais pas avec toi. Mais je crois que oui, c'était bien, car tu m'en as souvent parlé. D'accord. Et c'est comment ? Tu veux que je te dise ce que tu m'as dit exactement ? Oui. Que c'est plein de mecs musclés et bronzés et au sourire blanc. J'ai dit ça ? Oui. Faut croire que tu étais jaloux. Je devrais ? Je ne pense pas non. Bon. Je suis beau alors ? Très. Tout le monde te trouve magnifique. Tu le sais. Oui, je le sais et j'aime que tu me le rappelles. Je sais.
Elle continue de manger. Au bout de dix minutes, je reprends.
J'ai faim. J'ai monté le chauffage, alors un peu de patience. Non, j'ai vraiment faim. Tu ne me donnes plus à manger depuis plus de dix minutes.
Elle rit.
Oui, pardon. Je t'avais presque oublié. | |
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Alhena
| Sujet: Re: Fragment #38 - J'ai faim 04.02.09 1:07 | |
| Pennac = Très joli frag. Mais qu'est-il donc arrivé à Amaury? | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #38 - J'ai faim 04.02.09 1:47 | |
| J'ai changé la date, on peut pas poster 2 frags pour le même jour
Et il faut qu'on parle en privé de cette Jacqueline ! | |
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Procyon
| Sujet: Re: Fragment #38 - J'ai faim 04.02.09 23:36 | |
| Mais que se passe-t-il donc ????? Je suis sûr ma faim pour le coup là !! | |
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| Sujet: Re: Fragment #38 - J'ai faim | |
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