Fragment #17 – Stupeur et long bâillement

Jeudi 5 février 2009
à Talant

Mon torse se redresse violemment pendant que mes yeux s'écarquillent. Je ne mets pas longtemps à me souvenir. Je sais où je suis. Je fuis ce que j'ai fait. Je m'assois dans le lit. Il fait nuit noir. Je dirais qu'il est à peine quatre heures du matin. En tournant quelque peu la tête, je vois que je n'étais pas loin d'avoir raison. Le trois, le cinq et le sept en bâtonnets lumineux rouge scintillent dans l'obscurité. Je me demande ce que je fais là. Je dormais. Mais pourquoi ? C'est la nuit. Oui je sais, mais pourquoi je dormais dans son lit ? Avec lui. Il m'a invité à manger hier soir. J'ai accepté. Chez lui. Nous avons passé une agréable soirée. Le champagne était bien frais. Je l'ai beaucoup aimé. Mario aussi je l'ai aimé. Au moins pendant qu'il me faisait l'amour. Nous prenions le dessert sur le canapé, nos bulles posées sur la table basse. Il a mis sa main sur le canapé, derrière ma nuque. J'ai posé la mienne entre nous deux, obstruant le vide imaginaire qui nous séparait. J'ai alors oublié mes principes, mon mari et la musique classique, pour danser un tango sauvage dans les bras de cet amant fougueux. Beethoven a hausser le ton pour dissimuler nos ébats, que nous avons alors redoublés d'intensité pendant la troisième sonate. J'en avais oublié le plaisir. Le plaisir de la chair. Sentir le butoir frapper à ma porte. Prier pour que personne n'ouvre, que l'inconnu frappe encore et encore. Je suis la maison accueillante. Je suis Blanche Neige criant de plaisir en voyant arriver les petits nains blanc en son sein.
Je frissonne de plaisir au seul fait d'y repenser. Je suis totalement nue. Je ne pouvais pas partir juste après. C'était si bon. Le prince charmant m'a délivré de mon dragon abstinence - bête perfide que je n'avais pas vu s'installer -, je me suis sentie enfant. Je me suis accrochée à son cou. Il m'a déposé dans son lit, comme une jeune mariée. J'aurais été incapable de dire quel âge j'avais. Maintenant c'est différent. Je sais que je suis vieille. Je ne sais pas comment vont se passer les choses. Ça m'effraie. Je n'ai plus l'âge de perdre mon temps à avoir peur. Il est là, à côté de moi. Quelques centimètres. Il dort profondément. Je suis toujours assise, fixant le mur en face. Je ramène mes genoux contre ma poitrine. Je frissonne. J'ai froid.

Je ne crois pas que ses yeux se soient ouverts, ni que son corps ait bougé. Néanmoins, sa main effleure mon dos.
« Tu as froid ?
- Un peu.
- Viens contre moi. »
Je me glisse près de lui. Mon dos contre sa poitrine chaude, je sens son pénis derrière moi. Je suis bien ici. Il bâille fortement, embrasse ma nuque et replonge dans un profond sommeil. Je pleure.
Je pleure en silence. Sans larme, ni tristesse.