Fragment #37 - Bras de fer

On m'a mise en caisse, à McDo. Les managers en avaient marre que j'incendie les autres équipiers en cuisine. Ce n'était peut-être pas la meilleure solution, parce que maintenant, ce sont les clients que j'incendie. Par exemple, cette pouffiasse et son amie, aux bras desquels sont accrochés des sacs à main inutiles comme à des branches d'arbre anorexique. La première dit à sa comparse avec une voix trainante :
« T'as vu ? Y a des nouvelles potatoss.
- Waaa, elles sont trooop moches. »
Mais quelles connes. J'en fais tomber ma tête sur la caisse, morte de rire.
« Vous vous foutez de notre gueule là ? me demande la première, agressive.
- Oui, je réponds, avec calme.
- Eh mais ça va tu t'es vu sale chienne tu bosses à McDo alors tu fermes ta gueule là !
- Moi au moins je sers à quelque chose dans la société pétasse.
- Eh mas vas-y comment elle nous agresse elle ! »
Juliette arrive, me prend par le bras, m'entraîne dans les cuisines, à l'abri des regards. Un caissier a pris ma place. Juliette, à côté de moi, est furax. Son visage a viré au rouge brique et elle respire comme un buffle, prête à exploser.
« Tu joues à quoi là Laura ?
- A rien.
- Je t'ai vue, je te regardais.
- Ah tu m'espionnes maintenant ?
- Tu t'es foutue d'elles ouvertement.
- Et y avait pas de quoi ?
- Laura, tu es caissière, merde ! Ton boulot c'est de sourire, de servir, et de la fermer !
- Je suis pas une putain d'esclave ! Si j'ai pas envie de sourire à des connards, je souris pas ! »
En cuisine, les équipiers relèvent la tête. Même en caisse, les clients essayent de localiser la source de ces cris. Juliette me reprend le bras avec fermeté pour me faire descendre dans la salle équipiers, où Amina mange une petite salade et me jette un regard glacial et condescendant.
« Laura, pourquoi tu démissionnes pas ?
- Parce que j'ai besoin de ce boulot pour payer mon putain de loyer.
- Eh bien démissionne et trouve-toi autre chose !
- J'ai pas l'intention de démissionner.
- Pourquoi ?!
- Ben à ton avis, Juliette ? Pourquoi tu me virerais pas, plutôt ?
- J'ai pas l'intention de te virer.
- Bien sûr que non, ça te coûterait trop cher. Tu permets que je retourne bosser, maintenant ? »
Je laisse Juliette plantée là, et retourne en caisse. Elle doit me haïr, maintenant, ça c'est sûr. Tant pis, je m'en fous. Je ne l'ai jamais aimée non plus, de toute façon. A présent, que le bras de fer entre McDo et moi commence.

Le soir, je vais me changer, personne ne m'adresse la parole. Je suis le parasite de l'équipe, à présent. Je sors de McDo et m'allume une cigarette. Damien est là, il m'attend. Une nuit de réconfort s'offre à moi. Je souris.