Fragment #13 – Dimanche, neige et orchidées

Je referme mon livre, m’étire. Il est tard, Louis doit être rentré chez lui. C’est son anniversaire, aujourd’hui. Je lui ai acheté des orchidées, parce que c’est beau, les orchidées, beaucoup plus que les roses. Elles sont blanches comme la neige qui descend sur terre en petits flocons. Je n’ai pas eu le temps de passer au Dion’, et il n’a pas de portable, alors je vais aller chez lui, ça lui fera plaisir. J’espère ne pas arriver en plein milieu d’une fête d’anniversaire où je ne serais pas la bienvenue.
J’enfile un gros manteau, des bottes, et prend un parapluie pour protéger le bouquet.
Dehors, il fait nuit, et froid, et l’air frais me fait un bien fou après avoir passé la journée à travailler sur mon mémoire. J’adore les dimanches, le temps qui semble être arrêté, les rues désertes, être la première à marcher sur des trottoirs touts blancs.
Je frappe à la porte. Pas de réponse, pourtant, je suis sûre qu’il est là.
« Louis, c’est moi ! »
Merde, qu’est-ce qu’il se passe ? Je frappe à nouveau, tends l’oreille. Je crois entendre un soupir. J’abaisse la poignée, heureusement, la porte est ouverte.
L’appartement pue l’alcool et le désespoir. Louis est affalé sur le parquet, entouré de bouteilles vides.
« Merde, Louis, vous savez que ce n’est pas bien. »
J’arrive à le traîner jusqu’à son lit, le recouvre d’une couverture. Comment se fait-il que je n’aie rien vu venir ? Son front est brûlant. Je slalome tant bien que mal parmi le chantier incroyable, jusqu’à la salle de bain, en reviens avec un gant de toilette mouillé.
« Voilà, ça devrait vous faire du bien. »
Je ramasse les bouteilles éparpillées, passe un coup d’éponge sur la table, ouvre la fenêtre pour aérer.
« C’est dommage que vous soyez dans cet état-la, alors qu’il neige, dehors. C’est vraiment joli. »
Je lui parle pour le garder conscient. Suis-je censée appeler le SAMU, ou un truc dans le genre ? Non, je pense qu’il est hors de danger, une bonne nuit de sommeil et ça ira mieux.
Je referme, parce qu’il fait froid, vais chercher un vase.
« Je vous ai apporté des orchidées, Louis. Pour votre anniversaire. Elles sont blanches et légères comme des flocons de neige. Je les mets vers la fenêtre, demain vous verrez les fleurs à l’intérieur et la neige dehors. Ca va être joli. »
Je me sens tellement inutile, à cet instant précis, mais que pourrais-je faire de plus ? Je le verrai demain ou mardi, au Dion’, mais je ne parlerai pas de ce soir. Les autres n’ont pas besoin de savoir.
Il balbutie :
« C’est toi la plus jolie. C’est toi la plus jolie de toutes. C’est toi que je… Que je préfère. C’est toi que j’aime, tu sais.
- Vous êtes fatigué, vous dites n’importe quoi. Essayez de dormir. A demain, patron. »
Je ferme la porte doucement, en prenant soin de ne pas faire trop de bruit.
Dans la rue, j’arrête une passante, et lui demande une cigarette. Mon briquet gît toujours au fond de mon sac. Et j’avale ma première bouffée de fumée depuis plus de quatre mois.