Fragment #509 - Inquiétude

Maël a répondu. Je regarde son profil Facebook pour mieux comprendre. Comprendre qui il est. Ce qu'il me veut. Ce qu'il attend.

« Salut Julian, merci de m’avoir ajouté dans tes amis. J’espère que tu vas bien, ainsi que ton frère. J’attends de tes nouvelles.
Maël. »

Je ne connais pas de Maël. Je ne me rappelle pas avoir connu un Maël. Ce type ne me connait pas, il ne sait pas qui je suis et je ne sais pas qui il est non plus. Mais il me tutoie, il espère que je vais bien, et il prend des nouvelles de mon frère. Quel frère ? Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? Regarde ce visage, Julian, il ne te rappelle pas quelque chose ? Focalise-toi sur les yeux, le regard. Même figé et pixellisé, il s'est ancré dans ta mémoire. Tu ne peux pas l'avoir oublié. Souviens-toi de ces yeux. Regarde bien. C'est le garçon qui était là dans la cour le jour où j'ai emménagé à Paris avec Lola et Kokhavah. C'est le garçon qui portait un sac poubelle en sortant du local où j'ai trouvé Florian, inconscient. On avait tenté de l'étrangler. « ainsi que ton frère ». Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? Cette ironie mesquine, ce harcèlement perfide ? Je sens tout mon corps se mettre à trembler, incontrôlable. Une peur sans nom se répand dans mon sang. Est-ce que ça ne finira donc jamais ? Je ne serai jamais en paix ? Je ne pourrai jamais me reposer et laisser enfin tout ça derrière moi ?

« Qui es-tu ? Qu'est-ce que tu nous veux ? »

Je reste un moment sans bouger devant l'écran. Il est tard, mon insomnie quotidienne me ronge le cerveau. Mon livre n'avance pas, et pourtant je dois bientôt rencontrer l'ami de Simon, l'éditeur. Je suis mort d'inquiétude, impossible de me concentrer. Je coupe l'ordinateur et vais me glisser dans les draps à côté de Lola. Elle dort, paisiblement. Je me demande quand est-ce qu'elle va se mettre à la recherche d'un boulot. Je ne comprends pas comment elle peut vivre aussi paresseusement. Je ne me souvenais pas d'elle ainsi. Je n'ose pas me mettre en colère pour lui rappeler que je ne peux pas payer seul l'appartement. Je ne peux pas lui dire que je suis désolé d'avoir été un nul par le passé, mais qu'elle ne pourra pas pour autant m'en vouloir éternellement et me le faire payer. Non, je ne suis pas un esclave, et je paye déjà ma dette de culpabilité. Je ne peux pas travailler seul pour nourrir cette petite famille, Lola. Il faut que tu m'aides.
Mon sommeil vient difficilement, envenimé de pensées inquiètes et de peur.