Fragment #27 - La pluie ne s'arrêtera pas

Huit heure trente. J'ouvre les yeux, et émerge lentement de mon sommeil. A côté de moi, le radio-réveil crache violemment son alarme. Tout est embrouillé dans ma tête, et je ne saurais dire si c'est l'affreuse mélodie qui m'a tiré du sommeil, ou bien le fracas incessant des gouttes de pluie qui s'écrasent sur les carreaux de ma fenêtre. Je me lève, enfile mes pantoufles et me dirige vers la fenêtre. En quelques coups de manivelle, le store de plastique blanc remonte et dévoile notre petit jardin. Petit, c'est le mot. Mais pas de jaloux, tout le monde à le même dans le quartier. Un petit carré d'herbe, séparé de celui des voisins par une haie de thuyas. A droite, il y a le portique vert de la balançoire que papa et maman avaient installé lorsque j'étais petite. Quand j'y pense, ça fait des années que je n'ai plus fait de balançoire... On devrait enlever ce portique, il prend de la place inutilement. Juste derrière, notre petit cerisier. Avec le temps qu'il a fait dernièrement, la récolte de cerises devrait être importante cette année. J'espère que maman fera de la confiture. La vision d'une tartine de pain croustillant nappée de confiture de cerise me fait prendre conscience qu'il est l'heure d'aller prendre mon petit déjeuner. J'oublie le jardin détrempé par la pluie et prends la direction des escaliers.
J'arrive dans la cuisine où papa et maman prennent leur café. Maman me gratifie d'un « Bonjour ma chérie. » tandis que papa lance un « Bonjour... » sans lever la tête de son journal. Pendant qu'il commente les articles à voix haute, je pars à la recherche des céréales. Encore et toujours les présidentielles... J'avais oublié. Heureusement que la presse est là pour me rappeler chaque matin que nous avons désormais un nouveau président. Cacao, sucre, biscuits... Ah ! Céréales. Je saisis le paquet de Muesli au chocolat puis ouvre le placard du haut pour prendre un bol.
« Alors que des manifestations contre Nicolas Sarkozy ont continué pendant la nuit de lundi à mardi, le nouveau président se trouve sur un yacht à Malte. »
Je manque de me cogner la tête contre la porte ouverte du placard.
« Il s'emmerde pas lui ! »
Sans prêter attention à ma remarque, mon père continue la lecture de l'article.
« Comme il l'avait annoncé, Nicolas Sarkozy a choisi de faire une brève "retraite" avant de prendre ses fonctions le 16 mai. Le futur président est arrivé lundi à Malte à bord d'un jet privé et a pris ses quartiers dans un yacht en compagnie de son épouse Cécilia, de leur fils Louis, 10 ans, et de quelques proches. »
Je prend mon bol de céréales et pars dans le salon pour ne pas entendre la suite. Mes parents adulent notre nouveau président. Moi je le hais. Bizarrement, il y comme un tension dans la famille depuis deux jours. Dès le soir des élections nous nous sommes disputés. J'ai quand même le droit de ne pas penser comme eux ! De toute façon on ne se parle pas assez. Depuis des années, chacun fais semblant de n'avoir aucun problème, on se fait croire mutuellement que tout va bien. Nous sommes une famille de l'apparence. Et voilà que depuis deux jours, toute cette tension accumulée se libère. Deux petits jours, et l'angoisse a repris possession de mon corps. Elle a fait son nid en mon sein, et elle n'en partira plus désormais. Je devrais simplement la contenir, pour ne pas qu'elle me ravage à nouveau. Je m'approche de la fenêtre du salon, mon bol de céréales dans les mains, et pose mon front contre la vitre. Dehors, la pluie ne s'arrête pas. Les gros nuages gris déversent leur surplus d'eau sur notre maison. Malheureusement, toute cette eau ne sera pas suffisante pour laver notre famille du mal qui la ronge. On est tous atteints de la même maladie : l'angoisse. Dans la cuisine, mes parents se disputent. Dehors, la pluie tombe toujours. Elle ne s'arrêtera pas.