Fragment #511 - Entre exs

A cause des grèves dans les Universités, en lutte contre le décret de Valérie Pécresse, Simon n'a pas cours depuis plusieurs semaines. En revenant de chez mon grand-père, je m'arrête aux Halles pour rejoindre mon ami et boire un frappuccino au Starbucks avec lui, alors qu'il sort tout juste du cinéma. Il est allé voir L'étrange histoire de Benjamin Button, un film qui semble l'avoir ensorcelé.
« Tu vois, il me dit d'une voix surexcitée, des fois c'est mieux quand c'est long, les gens se plaignent parce qu'ils s'ennuient, mais moi j'aime ça, je trouve que ça rend le tout plus réaliste. On peut pas raconter toute une vie comme ça en une heure trente, il faut prendre le temps, tu vois.
- Tu sais, moi j'y connais rien, Simon. »
Simon, il est passionné d'écriture et de cinéma. Quand il est lancé, il ne parle plus que de ça, et personne ne peut plus l'arrêter. Son débit de paroles à la seconde est hallucinant, et parfois, je m'y perds, je ne l'écoute plus. Je me contente de le regarder, une main posée sous mon menton, et de hocher légèrement la tête.
Après une bonne heure passée à discuter, je me dis que Lola doit s'inquiéter et, même si cela m'agace un peu, je suggère à Simon que nous rentrions. Nous laissons sur la table nos gobelets en plastiques et quittons les Halles bondées pour rejoindre à pieds la station Rambuteau. Là, nous prenons la ligne 11 pour aller jusqu'à République.
« Et sinon, lance Simon, abandonnant enfin son discours sur la temporalité cinématographique, tu avances avec ton bouquin ?
- Ca va, je réponds, tandis que nous émergeons de la station de métro place de la République. Je suis insomniaque en ce moment, alors ça me laisse le temps d'écrire.
- Ah, l'insomnie, amie de l'écrivain... 
- Ouais, amie de l'écrivain mais pas de ma gueule dans la glace le lendemain matin... »
Soudain, Simon se fige. Son regard s'est jeté sur quelque chose et tout son corps s'est durci instantanément. Je suis la ligne de ses yeux et découvre, à quelques mètres de nous, un couple en train de s'embrasser. Laura, notre ex petite amie, dans les bras de quelqu'un. Laura dans les bras d'un garçon grand et pâle, aux cheveux ras. Un garçon au regard de verre, fragile et tranchant à la fois. Le photographe de plateau, timide et insipide. Encore une fois, je l'avoue, j'ai oublié son prénom, car ce garçon flotte dans l'air comme un fantôme transparent, et rien en lui ne peut accrocher à ma mémoire.
Sans prévenir, Simon se jette sur lui. Ils tombent à la renverse. Laura est bousculée et se retrouve à terre elle aussi. Je n'ai pas le temps de réagir que du sang coule déjà sur le macadam. Des cris s'élèvent tout autour de nous.