Fragment #513 - Des questions surgissent

Simon a une gueule d'enfer. Le nez explosé, il a perdu son charme fin et distingué, son élégance raffinée. Son visage est bouffi, ses yeux gonflés. Il reste avachi sur le canapé de l'appartement qu'il partage avec Juliette et Sergueï, qui jouent avec lui les colocataires idéaux, aux petits soins à son chevet. Je passe le voir en rentrant du travail pour m'assurer qu'il va un peu mieux, puis monte au troisième pour retrouver ma fiancée et notre petite fille chérie. Je n'ose demander à Lola où en sont ses recherches d'emploi. Un silence pesant se développe dans notre temple du Bonheur, parce que je crains de la froisser, d'être maladroit, de m'exprimer avec colère. Je suis fatigué de la savoir tout le temps enfermée ici avec Kokhavah. J'ai besoin de la voir s'épanouir pour m'épanouir moi aussi. Si Lola se replie hors du monde, je ne sais pas comment avancer. Nous ne pouvons pas parler, nous ne pouvons pas communiquer. J'ai peur, car déjà notre relation s'étiole à mesure que les non-dits nous empoisonnent. Est-ce que j'ai eu tort de croire que mes sentiments seraient éternellement purs ? Est-ce que je n'ai pas été aveuglé, une fois encore ? Je voudrais croire que l'Amour avec un grand A existe réellement, plus fort et plus grand que tout, qu'il est indubitable et indestructible, mais le doute me gangrène peu à peu. Lola et son inertie me fatiguent, notre relation semble ankylosée, et surtout, par dessus tout, je me déteste de ne pas réussir à le lui dire, à la secouer, à lui crier « bouge-toi ! ». Alors je m'installe devant mon ordinateur, sans prononcer un mot, j'ouvre Facebook et je découvre un mail dans ma boîte de réception. Il me vient de Maël.

« Je suis la personne qui a sauvé ton frère de la mort début janvier lorsqu’une femme l’a agressé. Ce que je veux : savoir si il va bien. Navré si cela te dérange…
Maël. »

Mon sang se hérisse de piquants glacés. Ma peau frémit sans bruit. Je jette un regard à Lola et à Kokhavah, mais elles ne prêtent pas attention à moi. Mes yeux parcourent le message concis, encore et encore, pour bien l'assimiler, éprouver son contenu, chercher un sens caché. Florian, en danger de mort ? Mais je croyais... Florian a dit qu'une femme l'avait agressé, ce qui corroborerait les dires de Maël. Mais pourtant, c'est bien Maël que j'ai vu sortir du local poubelles ce jour-là, et il n'y avait aucune femme. Et qu'est-ce que ça veut dire, tu veux savoir s'il va bien ?! Mais merde, on n'a pas le droit de débarquer comme ça dans la vie des gens et de leur balancer un « Navré si cela te dérange » comme si de rien n'était. Oui, cela me dérange. Je veux écouler des jours heureux à Paris, en paix, sans avoir à me soucier des magouilles d'un type que je ne connais pas et ne veux pas connaître. J'emmerde ce Maël et ses messages, et je hais ce secret qu'il m'impose, cette peur, ces questions qui surgissent. Pourquoi voulait-on tuer Florian ? Qui veut sa mort ? Et pourquoi ? Et pourquoi Maël l'a-t-il sauvé ? Est-ce qu'il était là par hasard, ou est-ce qu'il venait expressément pour ça ? Je voudrais déballer tous ces points d'interrogation dans un long mail acerbe et venimeux, pour faire cracher la vérité à ce type au regard dur comme le diamant. Mais mes doigts ne parviennent à pianoter qu'un simple :

« Non, ça ne me dérange pas. Julian. »

Parfois, je me déteste vraiment.