Fragment #57 - Le Wooz

Mes pas me guident jusqu'à un bar gay dans lequel je ne mets jamais les pieds. Le Wooz bar. Sans réfléchir, je sonne, et on vient m'ouvrir. Je descends l'escalier et plonge dans les bas-fonds fétides. Musique électro. Rythmes sismiques. Les hommes se tournent sur mon passage, salivent devant mon regard dur. Trop de gens dansent dans la grande salle, alors je préfère rester près du comptoir et m'installer sur un tabouret.
« Je peux vous servir quelque chose ? me demande le barman.
- Heu... un whisky coca s'il vous plait.
- Ça marche. »
Un type d'une cinquantaine d'année est assis à côté de moi et me regarde. Ses yeux bavent, lubriques, et me dévorent. Je l'ignore, mais je sens qu'il me fixe, et une sensation de picotement m'oblige à me retourner pour lui lancer :
« Oui ? On se connait ?
- Pas encore, mon chou... »
Ne répond pas, Lilian. Prend ton whisky coca et bois-le sans t'occuper de lui. Mon dieu, qu'est-ce que je fais là ? Qu'est-ce que j'ai bien pu venir faire ici ? Qu'est-ce que je pouvais bien chercher, espérer ?
« Je m'appelle Dominique, et toi mon chou ?... »
Sa voix est une voix d'homme, mais des accents fluets de petite fille la transpercent de part en part. Elle suinte la perversion et me dégoute.
Je finis mon verre d'une traite, commence à chercher dans ma poche de quoi payer. Dominique arrête mon geste et pose sur la table un billet de cinq euros. Son regard ne me lâche pas, pas plus que son sourire visqueux et puant. Une moue de révulsion vient tordre ma bouche. Est-ce qu'il croit m'acheter comme ça ? Est-ce qu'il espère tout obtenir de moi en me payant quoi que ce soit ?
« Si tu veux, je peux t'emmener sur la côte en voiture, mon chou... Les petits mignons comme toi ils adorent que je les emmène là-bas... »
Je me lève et quitte le bar, sans adresser un regard à personne. Je sens leurs yeux qui me fixent et me suivent, et leur brûlure dans mon dos. Je sens leurs désirs et des mains invisibles qui essayent de me retenir. J'accélère le pas pour m'enfuir en courant.
Une fois de retour dans la rue, mes yeux font jaillir des larmes retrouvées. Je rentre chez moi sans me soucier des sanglots bruyants qui sortent de ma bouche. Je me fous des passants.
Je veux juste que tout redevienne comme avant.