Fragment #47 – Manif

Des gens à perte de vue. On scande des slogans, à s'en briser la voix. Je déambule dans la foule avec ma caméra. Je voudrais capter l'essence de la réalité, filmer les odeurs de viande grillée et la brûlure du soleil sur nos vêtements noirs. Le peuple en colère foule le sol en tapant des pieds. Des pétards explosent un peu partout. Je sursaute parfois, et l'image tremble entre mes doigts.
Musiques, tambours, sifflets. Les rythmes et les sons donnent envie de danser, de libérer les corps de toutes leurs entraves. Dans le champ de ma caméra, un jeune homme prend des photos. Il est blond, a le teint hâlé. Je commence à le suivre. J'aime sa façon de se courber pour photographier les manifestants, j'aime la couleur de sa peau. On dirait un australien. Je décide de le prendre en chasse. Et j'oublie Damien, et les liens qui nous unissent. Je n'aime pas me sentir attachée. Je veux pouvoir suivre librement la beauté lorsqu'elle passe devant moi en coup de vent, flottant comme un papillon rare.
On me bouscule. Je me fraye un passage tant bien que mal dans la cohue collante et compacte. Je vais perdre de vue l'australien, laissez-moi passer ! Le courant de la foule m'emporte, me sépare de lui. L'espace d'un instant, j'aperçois son visage et je me dis qu'il me regarde peut-être. Je le vois brandir son objectif et prendre un cliché dans ma direction. Gênée, je tourne la tête et me laisse guider par le cortège. Peut-être qu'il me visait. Peut-être que non.
Voilà un bon point de départ pour commencer mon scénario.