Fragment #20 – Espionnage (3)

07h58
Je suis venue plus tôt ce matin, sans doute motivée par la présence de ce temps printanier dans l'air depuis quelques jours, et intriguée depuis samedi dernier par la présence du frère de Laura dans son appartement. Je veux savoir s'il arrive tôt le matin et repart chez lui tard le soir, ou bien s'il dort chez elle. Entretiennent-ils des rapports similaires à ceux qui me liaient à Sethi ? J'ai du mal à imaginer Laura dans pareille situation. Mais après tout, qui peut savoir ?

09h22
Pas de trace de Laura ni de son frère. Je me suis levée plus tôt pour rien. J'enrage en buvant mon café au Macassar. Puisque c'est ça, je rentrerai chez moi de bonne heure. Et comme Maël ne donne pas de nouvelles (comme s'il avait souvent l'opportunité de coucher avec une fille dans mon genre, cet ingrat), je me rabattrai sur Rowan. En échange, il me laissera partager sa coke. Il faut bien que mes relations me servent à quelque chose.

10h13
Aujourd'hui, ce n'est pas Laura qui sort du 11 rue de la Folie Méricourt pour aller acheter du pain à la boulangerie l'Epi, mais son frère. Du moins, celui que je suppose être son frère. La ressemblance est telle qu'il n'y a quasiment pas de doute possible, et je suis trop perspicace pour me tromper sur quelqu'un. Je l'épie sans qu'il ne se rende compte de rien.

13h03
Le frère ressort à nouveau, seul, une fois encore, et va prendre le métro avec un sac sur le dos. Est-ce qu'il s'en va ? Est-ce qu'il part travailler ? A en juger par son physique, il semblerait qu'il exécute des travaux physiques qui ont solidement développé son corps. Je pourrais presque coucher avec lui, mais je crois que son regard niais me foudroierait d'ennui un peu trop rapidement.

14h36
Laura quitte son appartement pour aller se promener en compagnie du garçon diaphane, son petit ami. Ce dernier semble plus en forme que la dernière fois, son coquart cicatrisé et le visage plus lumineux. Il n'en reste pas moins désespérément pâle. Je décide de me faire plus discrète, car je sens que ce type n'est pas dupe et qu'il sent ma présence. Ses regards vifs qui balaient la rue m'inquiètent. Je ne crains pas une altercation avec ce genre d'individu, je me sais trop bien entraînée pour pouvoir le maitriser, à la fois verbalement et physiquement (et après tout, maintenant que son visage a perdu les traces d'une quelconque bagarre, le voilà qui paraît tout à fait inoffensif), mais je ne souhaite pas pour autant être découverte.

16h38
Nous voilà de nouveau à Montmartre. Ces petites habitudes monomaniaques rituelles et archaïques me fatiguent. Pourquoi les gens sont-ils si primitifs ? Je voudrais rencontrer davantage de Maël Carmichael, des individus surprenants et imprévisibles. Des gens plus complexes et, par conséquent, plus fascinants. Mes pensées reviennent se grouper autour de l'image de Maël. Je déteste ça et peste intérieurement contre les hommes et leur lâcheté.

17h11
Une fois encore, je les ai perdu. Comment font-ils pour disparaître de cette manière, comme s'ils se volatilisaient littéralement, toujours dans la même rue ? Est-ce qu'ils connaissent un endroit secret qui leur permet d'échapper à ma surveillance ? Est-ce qu'un tiers les dissimule chez lui ? Je pourrais rester là et attendre qu'ils ne sortent, mais je suis fatiguée et agacée. Je préfère rentrer chez moi et me préparer à sortir. Ce soir, je baiserai Rowan dans les chiottes de l'Enfer, un rail dans chaque narine et l'esprit bien loin de toutes cette encombrante matérialité.